Récemment se sont tenus à Cologne, organisés par l’IAOPA, deux jours d’étude des dossiers en cours à l’EASA. C’est indispensable pour parer un coup, savoir de quelle direction va partir l’éventuelle salve de missiles. Sachez que certains font métier de s’intéresser à nous et à la manière dont nous apprenons à piloter, dont nous gérons par la suite nos vols dans le bout d’espace tridimensionnel qu’il nous reste. Absolument tout les intéresse et c’est pourquoi nos carnets de vol vont passer à 12 rubriques multicolonnes qui obligeront à 14 entrées au minimum à chaque vol : « Big brother is watching you ». Je vous recommande d’aller télécharger sur le site easa.europa.eu le PDF Easy Access Rules for Flight Crew Licencing (Part-FCL) qui fait 1 362 pages, régulièrement modifiées.
L’une des missions qui m’avait été confiée par Emmanuel Davidson pour l’AOPA France était de plaider contre l’obligation de changement ou de mise à jour des transpondeurs vers le Mode S ES pour satisfaire aux besoins des contrôleurs, sans qu’aucun bénéfice ne nous revienne comme cela s’est passé avec le Mode S. Or ce serait possible avec la mise en place du standard UAT en Europe comme cela s’est fait USA (un essai a été tenté au Royaume-Uni avec succès) pour la transmission d’informations en vol : trafic (réception ADS-B sur 978 MHz depuis les stations au sol installées à cet effet), météo… Cette solution permettrait aussi l’utilisation de récepteurs déjà disponibles et bon marché aux USA.
Bonne nouvelle, l’EASA semble évoluer dans cette direction, en tout cas elle croit maintenant utile que les avions légers puissent avoir la météo dans le cockpit, eux aussi. Cela, c’est nouveau et ça fait du bien à entendre car, soyons réalistes, l’Agence semblait ne s’intéresser qu’à l’infiniment gros et infiniment petit : les avions de ligne et les drones, et aussi à l’arrivée des véhicules autonomes.
Nous autres, coincés au milieu, n’avons pas plus la cote aujourd’hui qu’autrefois, même s’il y a de l’espoir car le GA Road Map évolue vers la version 2.0 : « Soyez confiants, la révolution viendra de l’EASA, mais il faudra bien sûr que chaque Aviation civile locale suive et cela peut prendre du temps », nous a dit John Franklin, rapporteur pour l’Agence, après un exposé sur le futur de l’aviation générale collant aux réalités économiques, mettant en avant l’engagement de notre compatriote Dominique Rolland, ce qui était sympa devant plein de nationalités représentées.
Combien de temps cela prendra-t-il ? « Dix ans, vingt ans peut-être, mais il faut bien démarrer un jour ! », a dit Franklin. Et d’ajouter : « La notion de temps n’est pas la même à Cologne qu’ailleurs ! »
Tout le monde là-bas semblait avoir entendu parler du gilet jaune que Françoise Horiot, présidente du GIPAG, le syndicat qui défend les professionnels, disait vouloir porter en se rendant à Cologne afin d’être entendue à la prochaine réunion. Ce trait d’esprit a déplu car il n’a probablement pas été compris : Il fallait voir derrière ce propos, non pas un pavé parisien lancé à la tête de Patrick Ky, directeur de l’EASA, mais une revendication contre des réunions chronophages et coûteuses qui n’aboutissent à aucune prise de décision rapide alors que les années passent et que l’aviation générale s’asphyxie dans un silence assourdissant. Personne ne semble la défendre activement, le souhait non formulé de certains serait plutôt de vouloir se débarrasser des pilotes qui, non seulement râlent, mais sont responsables de la quasi-totalité des accidents.
Nous avons du reste été gâtés ces derniers temps, entre l’atterrissage catastrophique d’un Malibu à Courchevel qui a fait plus d’un million de vues sur YouTube et la disparition dans la Manche d’une célébrité sportive. Deux dossiers idiots qui ont jeté un discrédit inimaginable sur notre aviation alors qu’ils auraient dû être évités. C’est ce que laisse entendre l’enquête préliminaire britannique et les renseignements glanés auprès de personnes informées pour le cas de Courchevel. Les « mass media » se réjouiront toujours de nos erreurs de nantis, surtout dans le climat social actuel empreint de jalousie, cela tue notre réputation de pilotes sérieux et conscients des enjeux de sécurité.
Ne comptons donc que sur nous-mêmes, personne d’autre, pas même sur les hommes politiques pour faire le travail de défense de nos intérêts et de notre image : même s’ils sont pilotes privés, de bonne volonté et amis, leur temps n’est pas le même que le nôtre, leurs intérêts divergent souvent des nôtres.
Ayons à l’esprit avant de décoller que l’aviation générale se doit d’être exemplaire pour continuer d’exister. Je sais évidemment qu’il est compliqué de l’être tout le temps, mais il s’agit bien du prix à payer pour la poursuite de nos activités.
Jacques CALLIES