La grande famille de l’aviation, toujours unie dans les bons instants comme dans les mauvais, pleure le décès accidentel à Chelles ce 9 avril d’une jeune femme de 27 ans le jour de son lâcher. L’émotion est sincère devant la tragédie que représente la perte d’une jeune vie. Elle est d’autant plus paroxystique que cet accident est arrivé le jour le plus attendu dans la vie d’un pilote, dont chacun se souvient de tous les détails jusqu’à la fin de sa vie, de sa surprise à piloter un avion différent car il a perdu 80 kg d’instructeur, et de son émotion à être seul maître à bord pour la première fois. Une première fois qui compte énormément, mais pas plus que toute autre découverte, empreinte de trouble et d’étonnement.
Tous les médias ont été en émoi et, comme on pouvait le craindre, les réseaux sociaux jouent une fois de plus un rôle d’exutoire, les commentaires s’enchaînent, s’accumulent par centaines. S’y trouvent accusés de médiocrité, plus ou moins directement, les instructeurs, la DGAC, la FFA… On y dénonce aussi les « merdes volantes », les « trapanelles à pédale », les avions « low cost »…
Si les pilotes sont heureusement nombreux à tenter de modérer les propos de ceux, souvent des amis, qui se posent en experts ès aviation, pilotage ou construction aéronautique, ces posts virulents sont préoccupants car ces « expertises » se propagent à la vitesse d’un feu de forêt, arrivent sur les smartphones d’une foultitude de béotiens à la recherche d’information, incultes en matière d’aviation, qui se font donc des idées fausses et auront donc des a priori négatifs sur les ULM, les petits avions et leurs pilotes, alors qu’ils avaient peut-être imaginé le devenir un jour.
Voici ce que publie le BEA, l’Autorité donc, sur cet accident : « Au cours de son premier lâcher solo en circuit d’aérodrome, l’élève effectue une remise de gaz après un rebond. Au cours de la seconde tentative d’atterrissage, l’avion rebondit, le pilote remet les gaz, puis perd le contrôle de l’avion qui s’écrase dans un champ. » C’est tout pour l’instant. Rien n’incrimine donc personne. Mais on comprend bien l’impatience des pilotes, guidée par de nobles raisons qui n’ont rien à voir avec l’hémoglobine, mais il faut laisser du temps au temps.
Ce que je peux leur dire, car j’ai évidemment été déconcerté par quelques témoignages spontanés de certains qui « savaient », c’est que rien de ce qui nous a été confié par nos amis policiers au stade d’une enquête préliminaire ne permet d’incriminer ni la jeune pilote, ni son instructeur, ni l’avion, ni la météo, ni les conditions du déroulement de ce premier solo.
Nous ne devons pas laisser l’émotion dicter notre plume ou notre parole. Bien sûr, direz-vous, c’est une attitude propre aux vieux lions qui ont reçu tellement de coups de griffes qu’ils n’osent plus commenter à chaud et préfèrent comprendre à partir d’informations vérifiées.
C’est vrai, sans doute, nous avons réagi à chaud plus d’une fois, par exemple lorsque notre ami Ivan de Somow s’est tué avec Jean Grinvalds : un accident survenu aux commandes d’un prototype piloté par un pilote de ligne n’ayant pas l’expérience d’un pilote ou ingénieur d’essais, certes, mais un pilote averti qui n’avait pas souhaité m’emmener pour ce vol parce qu’il s’agissait d’un proto. Nous avions toutes les raisons d’être bouleversés car, d’un côté il y avait nous, les apprentis sorciers qui jouions avec le feu par obligation, et de l’autre les constructeurs, incapables, du moins le pensions-nous à l’époque, de construire l’avion léger, bon marché et formateur, propre à attirer une nouvelle clientèle vers les aéro-clubs et à nous donner l’envie de voler pour le plaisir.
L’histoire est cruelle quand on voit que l’évolution que nous espérions de toutes nos forces il y a 30 ans, à savoir des appareils pas chers, peu motorisés pour consommer peu, allant vite tout en restant pilotables par tout le monde, est aujourd’hui vilipendée par des pilotes réputés ou par des pseudo experts à l’expérience limitée, sous prétexte d’un accident.
Non, l’émotion ne doit pas l’emporter sur la raison !