Lors de n’importe quelle action de pilotage, on doit effectuer la « do-list » appropriée. C’est une action facile à mémoriser car les items qui la composent sont organisés de façon logique, généralement à partir d’un circuit visuel. Ensuite, on attrape une « check-list » et on vérifie que l’on n’a rien oublié. Et on refait cela méthodiquement à chaque phase du vol.
C’est ce que tout pilote doit faire mais le fait-il toujours ? On sait bien sûr qu’il y a loin de la coupe aux lèvres et que plein d’excellentes raisons – la routine, le temps, les enfants, la chaleur, le compteur qui tourne, la fatigue – expliquent des dérives mineures qui, parfois, évoluent à la longue vers une transgression totale. Je pense à ces deux pilotes professionnels d’un Gulfstream G-IV dont nous avons parlé l’année dernière, qui volaient depuis longtemps sans check-lists, et qui ont tenté un décollage de nuit avec la gouverne de profondeur bloquée. Leur dernier.
Mais que celui qui n’a jamais enfreint la règle leur jette la première pierre. Ce ne sera pas moi, évidemment, et pour avoir volé souvent en place droite, je connais plein de pilotes qui en prennent à leur aise avec les check-lists à un moment ou un autre de leur vol. Un seul de mes amis est toujours exemplaire, Henri Corderoy, mais celui-ci n’a probablement pas le choix puisqu’il lui manque l’ouïe : isolé dans sa bulle, pourrait-il s’en sortir en cas d’oubli, comprendre et improviser ?
La routine est l’ennemi en aviation. La répétition des tâches finit par leur enlever leur sens. Et on les effectue en oubliant que ce sont des actions « vitales ».
Début juillet, j’étais invité à bord d’un Cirrus SR22 en tant que safety pilot. Son pilote avait parfaitement géré un premier ILS à Rouen, puis une seconde approche VOR. Je n’avais rien eu à faire, sauf à noter la clairance départ vers Toussus pendant l’approche finale car son dernier exercice exigeait qu’il se concentre sur son plan de descente. Après un deuxième atterrissage parfait, il a remis les gaz et je programmais pour lui la nouvelle route dans l’un des Garmin 430 quand, vers 200 ft, nous avons ressenti de forts à-coups assez irréguliers. Une sensation inconnue en ce qui me concerne, j’ai pourtant vécu plusieurs casses moteur. Comme les voyants étaient au vert, j’ai pensé d’abord à un shimmy de roues, puis aux carénages et aussi au capot moteur, j’ai ainsi imaginé que des pièces d’avion étaient en train de se détacher !
J’ai regardé dehors, n’ai rien vu de suspect et, sans réfléchir plus, j’ai dit à mon pilote que ce n’était pas du tout une situation d’avenir et j’ai prévenu la tour qu’on allait se reposer d’urgence !
Avec le recul, je me sens ridicule mais, sur le moment, j’ai vraiment cru à mon histoire de Cirrus démontable. Nous avons fait un circuit basse hauteur, mon ami a exécuté un posé impeccable devant des pompiers prêts à nous sauver, ceci malgré son stress. Puis la tension est retombée et j’ai vu que la manette de mixture était restée en position croisière vers 15 USG, ce qui est insuffisant pour voler plein gaz. Pourtant, la check-list avant atterrissage GUMPS, le minimum syndical pour un pilote, comporte bien le mot « mixture » !
Je suis aussi plein de regrets car j’ai failli à ma tâche. Il n’y avait aucune urgence à noter la clairance, je n’ai pas surveillé ce que faisait mon pilote et j’ai vraiment manqué de discernement quant à l’identification de la panne. Une tunnelisation mentale dans les règles !
Mais ce qui m’a donné surtout l’idée de cet édito, c’est qu’il est arrivé une aventure similaire à l’un des instructeurs auquel j’ai raconté cette histoire : de fortes vibrations ressenties pendant une phase d’arrivée IFR l’avaient inquiété et lui avaient fait penser à un givrage moteur, ce qui est impossible si l’avion est équipé d’un moteur à injection : donc, son diagnostic avait été aussi farfelu que le mien ! Mais, après enquête auprès de tous les pilotes en fréquence, et comme aucun givrage ne lui était signalé nulle part, il avait quand même pensé à repousser en avant la manette de mixture, lui !
*Gas Undercarriage Mixture Prop Switches