Vers les Cyclades
Les Cyclades vues d’avion.
Par Elie Bensimhon, Photographies Philippe Jeanmougin, Rallye Aéro France et Jeppesen
L’auteur, Elie, avec Alain devant leur fidèle Piper Archer Rouge.
Enfin, 13 jours de vacances : pour voler, profiter des escales et être entre amis pilotes ! Pour sa 21e édition, le Rallye Aero France (RAF) a choisi les Balkans et la Grèce. Il est prévu de partir de Cuers LFTF pour ensuite se diriger vers Portoroz LJPZ (Slovénie) – Nis LYNI (Serbie) – Thessalonique LGTS (Grèce) – Lesbos LGMT – Samos LGSM – Naxos LGNX – Syros LGSO – Megara LGMG – Kerkira LGKR (Corfou) – Salerno LIRI (Italie) – Calvi LFKC et retour at home. De France, nous allons donc traverser l’Italie, la mer Adriatique, la Slovénie, la Croatie, la Serbie, la Macédoine pour arriver en Grèce et aux îles orientales des Cyclades.
Quatre étapes longues, la plus importante : de Portoroz à Nis, 400 Nm, alternant avec six courtes, un saut de 30 Nm de Naxos à Syros. Deux jours de repos à Thessalonique sont programmés. L’appréhension du vol maritime et la traversée de pays autrefois en conflit pimentent l’aventure. Il y a des escales sans essence sur le terrain, Mytilini, Naxos et Syros. Ces destinations me trottent en tête.
Bien sûr, il y a eu en amont, pendant 8 mois, la préparation méthodique du Rallye Aéro France, de Jean-Michel Collineau et de son équipe qui s’est adjoint des opérateurs locaux. Les organismes de circulation aérienne ont été prévenus avec la liste des points de passage pour anticiper l’arrivée de 13 avions. Un 14e équipage, forfait, a pu bénéficier de son assurance annulation, très conseillée avant une longue aventure aéronautique ! Parkings, réceptions dans les clubs et Avgas nous attendent. Pour les équipages, un apéro frais est dressé à chaque escale… Tout cela va-t-il fonctionner sans faille ? Faisons confiance à une organisation rodée et à nos avions…
13 avions alignés pour le départ
Vendredi 5 juin, nous nous rassemblons à Cuers LFTF, départ pour Portoroz LIPZ, en Slovénie : 380 Nm prévus. Le ciel bleu a décidé dès 09H UTC de nous accueillir dans le Var. À l’Aéroclub du Var, son président, Alain Morelle, et ses bénévoles sont chaleureux. Dispense de taxes et banquet dans le hangar témoignent de leur plaisir à nous rencontrer. Ce club reçoit tous les pilotes passant dans la région. Ses membres vous aideront à découvrir par les airs la beauté des îles et de l’arrière-pays, voire la Corse. Pour l’heure, nous sommes 36 personnes. 13 avions sont alignés sur le tarmac : quatre Mooney, un Cirrus, un VL3, trois Cessna, un DR 400, deux Piper PA-28 et un TB 10. Les vitesses, de 150 à 105 kt, font répartir les machines en quatre groupes, menés chacun par un leader. Cette répartition sera respectée pendant tout le rallye pour l’ordre des départs et le roulage.
Après avoir décollé, nous longeons la CTR de Nice à 1 000 ft/mer avec, donc, un leader par groupe qui a un code transpondeur, les autres écoutant et intégrant les consignes. À la satisfaction du contrôle, sans encombrer la fréquence, nous clôturons au point ECHO de Nice pour entrer dans la FIR de Milano. L’organisation de notre directeur des vols, René Boscariol, a fonctionné efficacement. C’est lui aussi qui dépose les plans de vol (survol maritime prévu et ils sont toujours obligatoires à l’étranger où les radars sont limités), gère les NOTAM, la météo et effectue le briefing journalier. Il décharge de cette corvée nous autres pilotes… Il ne nous reste plus qu’à roder notre anglais, équivalent à celui des contrôleurs.
Avant Genova LIMJ, il faut monter à 4 500 ft pour passer le relief et arriver à VOG (Voghera), l’entrée de la longue plaine du Pô. C’est CAVOK et Milano nous autorise à pénétrer la classe A en VFR (!) à 2 500 ft. C’est plus simple de surveiller 13 aéronefs au radar avec un transpondeur plutôt qu’aux 1 000 ft habituels. Seule alerte, une compétition de planeurs à Ferrara jusqu’à 6 000 ft. Enfin, nous survolons la lagune dorée de Venise au soleil couchant, 25 mn de mer, puis contact avec Portoroz.
C’est en base main gauche pour la 33 que nous découvrons une collinette de 500 ft avec des antennes. Voilà une finale « à la St-Barth » surprenante. Alain, dans notre PA-28, choisit une glissade à 300 ft sol. D’autres préfèrent rallonger par une baïonnette avec une approche décalée. Heureusement, personne ne finit dans le marais salant en bout de piste. Le plein d’essence et le parking sur l’herbe sont expédiés de manière très professionnelle. Nous avons à peine le temps de déguster le paysage verdoyant qu’une ravissante hôtesse en voiturette vient prendre nos valises. Nous ne sommes pas très élégants avec nos gilets jaune fluo pour faire du charme mais tout le monde s’y plie. C’est du handling VIP en Slovénie. Soirée à l’hôtel 5 étoiles « Bernardin Palace » au-dessus de la baie. Le bord de mer ressemble à une promenade sur les berges du lac d’Annecy.
Le samedi, nous quittons Portoroz pour Nis LYNI, en Serbie, un parcours de 400 Nm. C’est l’étape où les orages sur les sommets – jusqu’à 4 500 ft – peuvent nous bloquer et nous obliger à suivre le cheminement Adriatique par Dubrovnik. Malgré un vent de 15 kt de face, nous mettons cap vers l’est au-dessus des montagnes croates alpestres et bien boisées. Au FL55, des rabattants de 20 kt sur les crêtes nous occupent bien 10 mn, c’est le prix à payer pour garder le souvenir de paysages grandioses et des belles photos : au-delà, nous découvrons la scintillante presqu’île de Pula. Sinon, on choisit le FL75, beaucoup plus calme, c’est le charme des discussions d’après vol. Après les montagnes, se succèdent des vertes collines jusqu’à la Sava, le fleuve frontière avec la Bosnie-Herzégovine, au sud, que nous longeons jusqu’à Tuvar, la frontière avec la Serbie.
Quelques trésors de Macédoine.
Ambiance décontractée à Nis
À Nis (prononcer Nitché), l’arrivée est bien coordonnée. Il fait chaud à 12h30 mais à 1,05 euro le litre de carburant, cela vaut la peine d’attendre et de remplir les réservoirs à ras bord. Ensuite, réconfort avec un repas plantureux et goûteux dans une auberge typique à colombages. Nous visitons ensuite la Citadelle à remparts érigée par les Ottomans. Dans le grand parc, on trouve encore une mosquée et un hammam avec une architecture à arcades qui rappelle Jérusalem. La Serbie reste balkanique et débordante d’énergie. 40 000 étudiants, avec une majorité de jolies filles, créent une ambiance du tonnerre pour la fête du millénaire de l’empereur Constantin. Ce soir-là aussi, à toutes les terrasses, la bière (1 euro la chope) coule à flot pour la victoire de Barcelone en Ligue des Champions. La Belle Epoque, cela devait ressembler à cela.
Dimanche, nous relions Nis – Skopje LWSK – Thessaloniki LGTS : 220 Nm. C’est encore une étape délicate. Nous devons nous intégrer à LGTS sur un aéroport International, en bord de mer, avec du trafic charter et sur une seule piste 16-34, l’autre étant en travaux. Il ne faut pas rater notre entrée dans le théâtre grec ! La sécurité de Nis a ouvert pour nous l’aérogare et les départs se succèdent dès 6h30. 20 mn de vol et entrée dans la FIR de Skopje, en Macédoine. Relief à 6 500 ft, vent de face 10 kt : ce sont les plus hauts sommets de notre périple, encore enneigés et bien dégagés. Parfait pour admirer des pitons déchiquetés, bien visibles ce jour-là, et des décors de Far-(W)Est. Nous les survolons car cela raccourcit le trajet vers FSK après la frontière grecque. « Kali mera » (bonjour) la Grèce !
Les équipages profitent des moments d’attente dans les aéroports pour débriefer.
À partir de là, c’est Byzance car nous sommes guidés radar comme des IFR avec reports d’altitude et caps par l’approche. Pas d’entrée maritime et nous descendons par le delta brumeux et TSL vers la 34 de Thessaloniki. L’accueil au club est très chaleureux. Autour d’un ouzo frais et bien tassé, le président, les contrôleurs et la contrôleuse nous souhaitent la bienvenue sous la banderole du 21e RAF. C’est un club dynamique avec 4 500 heures de vol, 5 instructeurs. Ses membres surveillent les incendies et on vous louera un avion (des Cessna 172, 182) pour découvrir les îles si vous êtes de passage en Macédoine.
L’essence commandée, payée à l’avance, est bien là, en futs. C’est un soulagement. À l’atelier, on s’active : un tube Pitot est débouché, on nettoie et répare un moteur de train récalcitrant d’un Mooney. Notre opérateur est le très efficace Yannis et nous avons bien profité du savoir de notre jolie guide archéologue, Irène, qui nous a raconté la Grèce, en français, jusqu’à Corfou. Jean-Michel a fait un bon choix.
Visite de Thessalonique et ses alentours
Thessalonique est la 2e métropole de Grèce, capitale de la Macédoine grecque avec 1,5 million d’habitants. Nous consacrons une journée à sa visite. C’est une ville moderne, ouverte sur la mer, face au mont Olympe avec une histoire complexe d’invasions. Elle a vu défiler Philippe et Alexandre le Grand, les Romains, les Chrétiens d’Orient, les Vénitiens, les Ottomans et les Juifs jusqu’à son rattachement à la Grèce en 1912.
L’Agora, l’église Sainte-Sophie, le bord de mer et la Tour blanche en sont témoins. Dans son musée sont exposés les trésors archéologiques en or de la Macédoine. Nous apprenons à distinguer le magnifique diadème féminin ciselé de feuilles de Myrte et la noble couronne en feuilles d’olivier de l’Andros (l’homme).
Le lendemain, nous quittons la ville en car pour Pella, l’ancienne capitale, et Vergina où a été découvert le tombeau-Tumulus de Philippe II, le père d’Alexandre le Grand. Panoramas dans la vieille ville charmante en pente pour aboutir à la maison natale de Kemal Ataturk, le père de la Turquie moderne, né ici, à Thessalonique. La fin de la journée se clôture par une soirée de gala. Le Maire de la ville, M. Bouratis Iannis, nous fait l’honneur d’un discours d’amitié francophile, nous offre une bouteille de sa production et souhaite nous accueillir plus nombreux. Voilà un moyen utile et agréable de les aider. Casquette pour tous de l’Aéro-club de Thessaloniki !
Le mercredi, nous décollons par groupes pour Lesbos Mitilini LGMT, 210 Nm, sans aucune difficulté. Il ne faut pas s’égarer vers l’est car la FIR turque n’est qu’à 6 Nm. Nous réglons notre GPS pour donner un ETA pour l’arrivée, systématiquement demandé. Arrivés, nous avons le temps de visiter une distillerie d’ouzo et de faire le plein de poèmes de Sappho, la Lesbienne célèbre qui vénère Vénus.
Le jeudi, 140 Nm sont prévus pour rejoindre Samos LGSM. Le ciel est toujours bleu grec. Atterrissage calme en 09 en passant en base à 500 ft du versant de la colline comme à Gap-Tallard. Attention cependant, quand le vent du nord à flanc de montagne, il crée « a severe turbulence » sur la 09-27 pouvant aller jusqu’à la fermeture du terrain ! La carte BP facilite les paiements mais le refueling de 3 heures est bien long. Sous les ailes des avions, les taches jaunes résignées – que nous sommes – vibrent sous la chaleur. Quitter son confort pour se faire rôtir par Hélios, c’est insensé et pourtant, nous sommes prêts à recommencer. C’est une île verte en fer à cheval, montagneuse avec des criques et renommée pour son nectar doux et son marbre. Les rues en sont pavées. Elle a donné le ton à toutes les constructions antiques.
Tous les papiers sont à bord !
Vendredi, nous décollons pour Samos Naxos LGNX, l’île la plus au sud de notre trajet, à 85 Nm. L’Aviation Civile grecque contrôle nos documents. Exemption des taxes passager pour les pilotes avec licence, pour les autres, ce sont 12 euros par personne en plus. Le parking exigu fait disperser les avions le long des taxiways. Sur Naxos, on taillait les Kouros, statues monuments d’hommes de 2 m aux traits ébauchés. Près du port, une porte, celle du temple d’Apollon. Seul vestige, ce rectangle de pierre encadre un horizon bleu et un ciel infini.
Le samedi, nous effectuons un saut de puce de 30 Nm vers Syros. Après atterrissage sur un terrain porte-avions (260 ft), nous sommes dans les Cyclades. Notre caravane de « petits avions » intéresse la presse locale. La mairie nous offre un joli livre sur leur île où cohabitent Chrétiens et Orthodoxes. Le dîner est agréable sous les tonnelles fleuries au son du Bouzouki.
Le lendemain, le trajet est plus long : 110 Nm. Nous quittons Syros pour Megara LGMG (Athènes). Retour sur le continent ! La clearance est retardée de 30 mn pour notre groupe car Athinaï ATC ne veut pas que nous encombrions les axes d’Athènes International vers Aegina. En route vers le « Toussus-le-Noble » athénien, la congestion du trafic nous fait orbiter en dessous de 1 500 ft. En vent arrière, le repère est une torchère sur une île « Zone P ». On ne se pose qu’en 26 gauche, la 26 R servant de taxiway. L’Acropole et les Cariatides se visitent sous un soleil de plomb. Les Evzones devant le parlement ne tiennent qu’une heure avant leur relève. Aucune effervescence. Nous sommes contents de retrouver notre hôtel « Elefsina » et sa fraîcheur.
Retour vers la France et les orages
Lundi 15 juin : Megara – Canal de Corinthe – Kerkira LGKR (Ile de Corfou), 220 Nm. Le canal est étroit et enchâssé dans de belles montagnes. Nous arrivons au Pont à haubans de Patras, le point d’entrée de la zone militaire active d’Andravida. Pour une fois, code transpondeur de rigueur. Après la zone Aktion (véridique), remontée au nord sur 100 Nm pour aborder l’île de Corfou par le sud. Nous avons respecté notre créneau d’arrivée VFR entre 14h10 et 14h40 et obtenons une directe pour la 35. Ouf, nous ne nous sommes pas fait remarquer. Soirée à l’hôtel « Mon repos » appréciée et bien méritée.
Le mardi, notre trajet est Kerkira – Salerno LIRI – Calvi LFKC, soit 250 et 260 Nm parcourus. C’est un ballet incessant de « liners ». Le contrôle efficace nous fait remonter la piste dès le décollage du jet précédent. Ainsi, par paquets de 2 à 3 avions, nous disons au revoir à la Grèce. Nous suivons le talon de la botte italienne, la route du nord par l’Adriatique étant barrée d’orages. Brindisi, Gioia del Colle (Mil) et Salerno avec un PPR. Essence, taxes et nous repartons par la côte amalfitaine escarpée puis Naples. Le trajet à 20 Nm des côtes à 1 500 ft est monotone et nous ne verrons pas Roma. L’île d’Elbe est en vue, alors cap 270° pour franchir les gros cumulus à 4 500 ft à NW (col de Teghime) de Bastia. L’Ile rousse et Calvi sont dégagés. La Provence est noyée d’orages et cette étape est la bienvenue. Le lendemain tout le monde peut rentrer sur le continent et poursuivre vers son terrain sans encombre. 2 680 Nm ont été parcourus en 13 jours.
Nous avons eu raison d’oser traverser les Balkans puis la Grèce qui ont été accueillants et lumineux. La logistique du Rallye Aéro France a maintenu ses étoiles, nous sommes un peu moins ignorants et les cieux furent favorables à notre périple. Pour la convivialité, ce fut un exemple et nous serons ravis de nous retrouver le week-end du 19-20 sept à l’Ile d’Yeu sur le terrain d’Hervé pour refaire une deuxième fois le voyage avec des photos, des souvenirs et des commentaires de mauvaise foi. Avis aux amateurs. À tous, à Jean-Michel et à nos hôtes hellènes : nous reviendrons. Et encore un grand « efcharisto » .
Les Cariatides à la beauté immuable à l’entrée de l’Erechthéion sur l’Acropole d’Athènes.