Oléron, Terre d’envol
Nord de l’île d’Oléron.
Par Jean-Michel Bossuet, Photographies de l’auteur
A 19 heures, le soleil est encore bien assez haut pour une virée maritime. Daniel, le pilote, accessoirement copi Air France sur long-courrier, est en place gauche. Nous avons deux jeunes passagères à bord qui font leur baptême. Et pour cette première virée en l’air, c’est un tour d’Oléron à 3 000 ft. C’est la 28 en service et le Roméo Victor est à la manœuvre. À peine en l’air et passé 1 500 ft, cap à l’ouest. Tout de suite, on altère de 10 ° notre route pour éviter Blois Fleury, c’est la règle locale. On survole Saint-Pierre et déjà nous sommes sur le trait de côte, les magnifiques plages, celles qui vont de la Cotinière aux Sables Vignier. On distingue encore, à cette heure, quelques rouleaux. Et puis vite, on écarte un peu pour laisser sur notre droite, au bout de l’aile, le phare de Chassiron, avec ses stries horizontales caractéristiques et ses 224 marches qui balise l’entrée du pertuis d’Antioche, le détroit entre Ré et Oléron. Puis ce sont les plages de Soubrejon et la Brée les Bains. On y voit quelques pièges à poisson, des parcs à huîtres en abondance.
Fort-Boyard est érigé à quelques encablures, l’ouvrage est désert et il n’y a pas encore de notam qui en limite le survol à l’occasion des tournages. On voit nettement les installations et surtout, on ne peut s’empêcher de penser à son état d’abandon dans le film les Aventuriers de Robert Enrico… Au-delà, la visi nous offre Aix. Plus loin vers le sud, on aperçoit Le Château d’Oléron, le pont et la très grande quantité de parcs à huîtres qui affleurent.
Nous volons toujours à 3 000 ft, on aperçoit Rochefort sur la gauche. Retour par la plage de Saint Trojan qui avait abrité le 23 août 1917 une base aéronavale américaine et ses hydravions armés. Avant de rentrer dans les terres, on survole les plages de Vert Bois et ses rouleaux. En 25 minutes, Oléron a livré ses charmes. Après un circuit main droite, on roule pour la 28, toujours en service.
Fort Boyard
Le terrain est non contrôlé
Pas de tour, pas de taxes, un champ de verdure, deux pistes une pour avion, l’autre pour les ULM, et dès que l’on a pris l’air, l’immensité de l’océan et encore plus loin l’Amérique. Ce champ d’aviation aurait très bien pu être une terre d’envol pour les traversées de l’Atlantique. D’ailleurs, on y trouve encore ces petites barrières de béton qui, autrefois, montraient aux non initiés la zone réservée aux aviateurs. Ici, pas de plan vigi machin, pas de barrière de 1,80 m pour séparer les Oléronais de leur terrain. L’aéronautique, c’est la liberté.
Depuis 70 ans, date de sa création, le terrain est ouvert à tous les vents, comprenez, c’est un lieu de passage, un lieu de visite, un porte-avions pour les touristes aériens passionnés de géographie vue du ciel. Mais c’est d’abord au travers des évacuations sanitaires que le terrain est né. À l’époque, l’aéroclub charentais souhaite mettre en place des evasan. Après de multiples demandes de quelques communes de l’île, c’est Saint-Pierre qui va financer la construction du terrain près du Moulin de Blois Fleury…
L’histoire du terrain est particulièrement riche, (voir encadré) et le second conflit mondial va pour ainsi dire bloquer le développement de l’aviation légère et générale à Oléron. Mais en 1971, le terrain d’Oléron Blois Fleury est officiellement ouvert à la circulation aérienne publique.
Depuis, les Ailes Oléronaises font les beaux jours des touristes, des autochtones et surtout des pilotes de passage dont une bonne partie possède une résidence secondaire sur l’île. Le club compte environ une centaine de membres, dont 25 permanents locaux, et puis, il y a tout ceux qui passent en été. L’activité du club est en grande partie basée sur les baptêmes de l’air, une activité essentiellement estivale puisque la piste de glaise est sèche.
Une jeune demoiselle ravie de son vol découverte.
Grande plage à l’ouest de l’île.
L’hiver et en cas de pluie, le sol est beaucoup plus meuble, au point d’avoir provoqué quelques mauvaises surprises à des pilotes un peu téméraires. Les membres du club et les responsables de la communauté de communes ont décidé d’appliquer à la piste un procédé de stabilisation en concertation avec l’Aviation Civile, cette modification est déjà installée sur l’hippodrome de Châtelaillon-Plage. Le procédé sera moins onéreux que le bitume et permettra d’étendre la plage d’utilisation du terrain, notamment pour l’école. Ce nouvel aménagement permettra aussi une utilisation plus longue de l’aérodrome.
Mais ici, la tranquillité est une des richesses locales, alors il a fallu associer le microcosme local qui craignait une croissance significative du trafic. En fait, cela permettra à quelques visiteurs occasionnels de ne pas finir dans la glaise. En mai dernier, un Transall de l’Armée de l’Air est même venu se poser pour s’entraîner, la piste ne fait que 1 015 m. Il y a deux ans, le terrain a été fermé de novembre à mai.
Lorena, Constance et Daniel, pilote long courrier à Air France.
Les avions? Des Robin bien sûr
Et de quoi la flotte est-elle constituée ? Pas de surprise, l’aéroclub n’a pas fait dans l’exotisme : trois bons vieux Robin, un de 120 ch pour l’école et deux de 160 ch pour les virées à plusieurs. Ils ont succédé au mythique D120, à un DR 220 et un Rallye. Avant eux, il y avait eu un premier D120 et un Wasmer Baladou qui finira par être cassé.
Le choix du métal au bord du littoral s’est avéré totalement inadapté. Le bois et toile est encore ce qui résiste le mieux à la corrosion du bord de mer. Il y a eu également au club un Cessna 172, mais il était trop lourd de l’avant, incompatible avec le terrain gras même si le Cessna de Ouest France apportait régulièrement les journaux sur l’île.
L’intérêt d’avoir trois Robin, Yves Villette, le président du club le justifie parfaitement : « Cela nous permet d’avoir une standardisation du pilotage, à la fois pour nos élèves mais également pour tous les pilotes qui viendraient voler chez nous, sachant qu’il y a de grandes chances qu’ils aient été formés sur Robin. Avec ces formes de standardisation, on minimise les risques d’accident. » Le Yanke Golf de 120 ch vient de recevoir un nouveau moteur, le Roméo Victor et l’India Roméo sortent de la visite des 2000 h, fraîchement repeints, faisant ainsi oublier leurs 20 ans d’âge. Toutefois, un des 160 ch pourrait être remplacé par un 180 ch, les Oléronais sont victimes comme les autres de surpoids… Les avions composites n’ont pas non plus la préférence des locaux : trop chers à l’achat et pour les assurer, avec une assurance casse de 5 % de la valeur de l’appareil. « C’est certes peut-être une réponse à la corrosion mais on n’a pas encore assez de recul et puis en cas d’incident, tout le monde ne sait pas travailler le composite. »
L’AC de La Rochelle a revendu ses deux Lionceau pour des raisons techniques. Pas question d’avoir des avions à petites roues dans le secteur, ce n’est pas compatible avec les éventuelles crevasses du terrain, il faut donc une machine solide et éprouvée : le DR 400 joue parfaitement ce rôle. Côté maintenance et entretien, les appareils sont amenés à Fontenay Le comte. Toutefois, les membres du club sont habilités à effectuer les visites de 50 heures, il n’est pas nécessaire de les laver après les vols. Pour voler sur les machines du club, là encore pas de surprise : après inscription, il faut se faire lâcher par l’un des instructeurs du club, ses responsables demandent pour tous les utilisateurs de passer au moins une fois par an entre les mains d’un instructeur.
Le Menestrel de Joël Gounot.
Le terrain est géré par le club
La gestion du terrain est confiée à l’aéro-club qui s’occupe de la sécurité des vols et des abords et de l’essence, le foncier appartient à la communauté de communes qui entretient les abords, une tâche dévolue à Pascal, le gardien de la plate-forme. D’ailleurs, si vous êtes amateurs de cognac, il aura toujours des plans intéressants. C’est encore Pascal qui vous fournira un biclo pour vous déplacer. Faute de mieux, ce sont les taxis, à condition dans les deux cas d’appeler avant. L’île offre pas mal de capacités hôtelières mais camper près du terrain, et donc de son avion est également possible… À Oléron, on n’est pas grands voyageurs. La disponibilité des appareils est faible durant les mois d’été mais l’horizon maritime suffit à nourrir les désirs de vol au long cours. Certains aviateurs oléronais poussaient jusqu’au Mont Saint Michel du temps des DR 220… Mais ici de toute façon, il suffit de passer l’horizon et c’est tout de suite l’aventure!
Multitude de marais salants en partie abandonnés
Le phare de Chassiron, reconnaissable avec ses bandes noires, veille sur le pertuis d’Antioche depuis 1836, sa portée est de 52 kilomètres.
Quelques constructeurs amateurs
Le terrain est également un repaire de constructeurs amateurs. On se souvient qu’Henri Mignet, le père du Réseau du Sport de l’Air, était né à Saintes, c’est là-bas qu’il a lancé ses recherches sur ce qui allait devenir les Pou-du-ciel. Plus tard, un charpentier de marine, Albert Baron, se lancera dans la fabrication d’abord d’un Pou-du-ciel (HM290), puis d’un Criquet (HM380). Encore plus tard, c’est au tour d’un certain Raymond Bastet de construire un Piel sensiblement modifié. Si vous traînez dans les hangars, il est impossible de rater le Menestrel de Joël Gounot. Il est de toute beauté et a demandé 12 ans de sa vie à son pilote. Parmi les autres avions présents, on trouve quelques fois le T6 de Jacques Bastet qui évolue à la Ferté ou encore un Lucas L5 Ulm qui lui ne manque jamais le salon de Blois. Le terrain accueille également une « école » ULM. Il y a 20 ans ici, on faisait déjà du pendulaire. Mais comme partout ailleurs, le trois-axes a trouvé un terreau favorable pour se développer. L’instruction s’effectue avec un Savanah qui tourne sans arrêt tant la demande est importante. C’est Marie, à la fois instructrice avion et Ulm qui dispense la façon de devenir aviateur. La piste ULM est parallèle à la piste avion, elle est plus courte.
Selon Richard Martin, le président du club ULM, l’engouement pour l’ultraléger s’explique : « On sera tous pilotes ULM, un jour. » Le club envisage l’achat d’une seconde machine plus exotique : un Kiebitz, biplan en kit… Il effectue environ 300 heures par an, comparativement le club avion en fait 700. Ces chiffres vont se réduire un peu, puisque le terrain devrait être fermé durant 8 mois pour l’aménagement de la piste. Après, le terrain de Blois Fleury reprendra sa vocation de champs d’aviation dans la chaleur estivale.
Un passé aéronautique
Depuis des décennies, les Oléronais sont habitués à voir se poser des avions sur leur Île : Blériot en 1911, il y aurait également un certain Hanouille qui présentera un Blérot XI en meeting en 1913. L’Île va abriter une base d’hydravions pour la Marine américaine au sud, à Saint-Trojan lors de la Première Guerre mondiale. Les premiers appareils sont des hydravions Levy Le Pen HB2de 280 ch, ils seront complétés par des hydravions américains de marque Curtiss. La base sera désactivée en octobre 1918. Entre les deux guerres, plusieurs meetings sont organisés sur la place de Vert Bois à l’ouest de l’Île. Un Potez 25 du 31e régiment d’observation va même se poser sur un terrain sommaire en 1928. Oléron recevra également la visite de Maryse Bastié. L’Île devient déjà un lieu de visite pour les aviateurs du continent, il n’y a pas de terrain clairement identifié, on se pose un peu partout. Dans les années vingt, un jeune homme flâne sur les plages de Saint-Trojan et de Vert Bois à regarder les oiseaux. Originaire de Saintes (17), il imagine très vite des avions légers à construire pour populariser l’aviation. Henri Mignet deviendra célèbre au travers de ses Pou-du-ciel (HM14), plusieurs exemplaires seront construits localement. À Rochefort, le chef pilote de l’aéroclub charentais, le capitaine Goegel instaure des Evasan entre l’île et le continent avec un Farman 403, dont un modèle est exposé au Musée de l’Air. Il faut un terrain : Saint-Pierre est choisi. On regarde de la France entière cette expérience oléronaise. Durant le second conflit mondial, la base de Saint-Trojan reprendra du service pour la Marine française avec quelques hydravions avant l’invasion d’Oléron. Après la guerre, l’aviation revient peu à peu, d’abord sur la plage de Vert Bois puis à Bois Fleury (Saint-Pierre) qui reprend progressivement du service. Dès ce moment, le club peut commencer à acheter des avions : un D120 puis deux DR 220, les ancêtres de la flotte actuelle.