Le matin, quand je me lève, je fais bien attention à poser d’abord le pied droit au sol : mieux vaut partir d’un bon pied, car le risque de passer de contrariétés en déceptions, de se demander s’il vaudra mieux rire ou pleurer de ce que je vais entendre pendant la journée est réel.
Par exemple, la semaine dernière, j’ai raconté à l’un de mes contacts à la DGAC la recherche in vivo menée à Athis-Mons, auprès du service des licences, sur la foi du répondeur téléphonique qui rappelait que le service était ouvert de telle à telle heure. Après avoir tenté de joindre ledit service sur les numéros fournis par le même répondeur, puis par mon testeur, ceci pendant plus de six semaines, j’étais inquiet : depuis que le transfert d’appel a été inventé dans les années 1990, un téléphone qui sonne indéfiniment dans le vide, ça n’existe plus, sauf en tant qu’effet de style dans un mauvais film hollywoodien, préparant le spectateur à la découverte d’un drame horrible. Était-ce le cas ? Le service des licences de la DGAC d’Athis-Mons avait-il été entièrement décimé par la COVID-19 ? En me voyant patienter devant les grilles du centre administratif, un gardien s’est finalement déplacé pour m’annoncer, un peu embarrassé : « Le service est fermé, ils sont tous partis en courant lors du confinement, et on ne les a pas revus ! »
Mon contact a éclaté de rire : « Tu sais, on nous a demandé de rester chez nous, de ne prendre aucun risque, de ne gérer que l’indispensable. Alors, c’est vrai, pour certains, la COVID, c’est comme des vacances, la vie est belle ! » C’est effectivement un point de vue, même si l’usager que je suis a du mal à le partager.
Mais j’ai choisi d’en rire aussi.
Le jour suivant, j’étais dans le Sud et, comme je voulais retourner à l’avion pour y prendre les masque et flacon de gel hydroalcoolique oubliés, mes interlocuteurs m’ont gentiment taquiné : « Relax, Max, la COVID n’est pas arrivée jusqu’à nous ! » Pour me rassurer, ils m’ont fait traverser des hangars où le personnel travaillait sans masque et m’ont emmené déjeuner dans un restaurant blindé de monde. Par contre, le moral était à zéro, les carnets de commandes ne se remplissaient pas, l’avenir était plus qu’incertain, même catastrophique pour une petite société d’ingénierie, sous-traitante de l’aéronautique, une pépite employant 200 salariés en temps de paix et dont le dirigeant craignait de devoir en licencier 180 en septembre.
En moins de 24 heures, j’étais donc passé du rire aux larmes.
Que dire ? Il y a bien sûr la bonne vieille méthode Coué, que c’est à nous de forger notre destin, mais je ne suis pas sûr que l’autosuggestion soit suffisante aujourd’hui.
Il y a le chômage partiel et les emprunts garantis par le gouvernement, mais s’agit-il d’une solution d’avenir ? Je ne le crois pas.
Il y a aussi le plan de soutien gouvernemental de 15 milliards qui, malgré des conditions d’attribution surréalistes, satisferait Air France, Airbus, Thales, Safran et quelques autres. Mais ne laisse-t-il pas pour compte les petites compagnies et tous les secteurs de l’aviation générale actuellement en difficulté : constructeurs d’avions légers, équipementiers sous-traitants de l’aviation commerciale, ateliers de maintenance en sous-charge de travail due à l’arrêt des vols, écoles de formation, etc.
En fait, et comme toujours, nous autres sommes les éternels oubliés de l’Histoire malgré tout ce que nous représentons en matière de PIB et d’emploi, nous n’aurons donc pas le choix, il va nous falloir remonter nos manches, nous battre encore, interpeller, négocier notre survie.
Il y aura sans doute une difficulté supplémentaire, celle de devoir gérer avec diplomatie ceux qui sont persuadés des bienfaits de la pandémie sur les changements climatiques et veulent donner naissance à des économies plus vertes que vertes, à une société où la mobilité des individus n’aura sa place que par l’offre de solutions de transport de masse, faisant fi des besoins et envies individuels.
Ceux qui, comme moi, estiment que, lorsque le transport aérien va, tout va, vont devoir se montrer imaginatifs, ménager chèvres et choux même si je ne crois pas en la sincérité de ceux qui prônent une décroissance heureuse et jurent de ne se déplacer qu’à vélo électrique.
Le soir, en remontant vers Toussus, j’étais avec Orly où les arrivées se faisaient face à l’est lorsqu’un instructeur culotté a demandé pour son élève l’autorisation d’effectuer une procédure ILS25. Visiblement, il n’avait pas eu connaissance du changement récent de piste. Eh bien, la procédure lui a été accordée, à contre-QFU, à 20 heures, à Orly ! En quittant la fréquence, j’ai salué la sportivité du contrôleur qui m’a alors répondu : « C’était un plaisir, cela m’a occupé, vivement que tout redevienne comme avant ! »
Le saint homme !
Jacques CALLIES