En ce début d’année, j’ai « la banane », selon l’expression de Marcus Bhend, un instructeur helvétique, après un vol en sa compagnie. Moment inoubliable, car ce pilote du constructeur Pilatus, piqué au vif par mes remarques sur les qualités de vol du TBM auxquelles son PC-12, avec toilettes et bar incorporés, ne pourrait prétendre, m’avait offert une démonstration comme seuls savent le faire les pilotes de meeting, qui m’avait littéralement transporté au septième ciel. Au point que je ne suis pas encore sûr d’en être redescendu 20 ans après…
J’ai la banane et il ne s’agit pas de politique française ou étrangère, il ne s’agit pas non plus du pilotage d’un avion ou d’un vol exceptionnel, mais d’un progrès technologique, de l’arrivée du moteur Turbotech sur le marché, un moteur comme j’en espérais un depuis longtemps et que je ne pensais pas voir arriver avant que je ne quitte la scène aéronautique.
Je sais évidemment ce que vous allez me dire : « Eh bien, il t’en a fallu du temps pour t’en rendre compte, mon vieux ! Voilà sept ans qu’on parle de Turbotech aussi bien dans A & P que chez vos confrères ! » C’est vrai, j’ajouterai en plus que Turbotech est installé à Toussus-le-Noble, que je passe deux ou trois fois par mois devant ses ateliers pour rejoindre le hangar du Mooney, en m’obligeant à ne pas y penser.
De peur d’être déçu, une fois de plus.
Car j’appartiens à la génération qui a cru longtemps au génie français, cocorico, et à son moteur Diesel SMA, développé par une équipe issue du secteur F1 de Renault Sport au mieux de sa forme. Ce moteur était déjà une nécessité pour l’aviation générale mondiale, pour ceux qui avaient de la difficulté à s’approvisionner en AVGAS, ceux qui savaient que ce carburant plombé, au prix prohibitif, était, en plus, amené à disparaître à l’horizon 2000. Bon, on parle de 2032 aujourd’hui, normal, son remplaçant se fait prier…
Comme beaucoup, j’ai cru en ce 230 cv fonctionnant au JET A-1, je l’ai vu tourner au banc à Tarbes, j’ai volé sur deux de ses protos, j’ai visité les ateliers de Lognes et de Bourges, j’ai discuté avec les responsables de SMA… Et j’ai même attendu la toute dernière minute et deux prolongations moteur pour remotoriser notre Seneca III. En effet, lors de son achat d’occasion, SMA m’avait assuré que la certification du SR305 était imminente et que la STC permettant de le monter sur le Seneca suivrait forcément. On l’a compris, cela n’a pas été le cas, d’abord SMA, puis Safran a fini par jeter l’éponge et vendre le SR305 à Röder Group pour une poignée de figues.
Chat échaudé craint l’eau froide donc… Les start-ups et leurs business angels, les Xe levées de fonds, les subventions, tout cela me rend méfiant, aussi, il a fallu un malentendu, une illustration éditoriale maladroite qui pouvait prêter à confusion à première vue, pour que je me sente obligé, poussé par Emmanuel Davidson, de rencontrer un homme en colère, Damien Fauvet, le fondateur et président de Turbotech.
Et voilà que, enfin, j’ai retrouvé la fameuse banane ! D’abord, au lieu du P-DG grincheux que j’imaginais, j’ai aperçu un jeune homme souriant qui patientait sur le tarmac, en compagnie d’Emmanuel, alors qu’un déjeuner imprévu m’avait retenu deux heures de trop à Pau.
On s’est tutoyé de suite, puis, caméra en main, je l’ai suivi à travers ses ateliers en lui posant les questions que je voulais, il m’a répondu avec une franchise désarmante, une fraîcheur quasi juvénile, sur les secrets de fabrication de sa turbine et les puissances à venir, sur sa stratégie de développement et son financement,
Et j’ai eu comme une révélation, j’ai su que nous tenions enfin la « pépite » que l’aviation générale attendait depuis les années 80 : un moteur dans les prix de notre marché, plus léger et fiable que les moteurs à pistons, d’une utilisation simple et sûre, fonctionnant frugalement avec un carburant à la fois universel, bon marché et sans plomb. Presque silencieusement en plus, de quoi nous réconcilier avec les riverains et les écolos.
Enfin une perspective nouvelle s’ouvrait devant nous !
J’en veux pour preuve le film de 48 minutes que nous avons monté pour notre chaîne YouTube. 48, cela me semblait bien trop long, c’était prendre le risque de lasser le spectateur, mais je n’ai pu me résoudre à raccourcir le propos, c’eut été comme un sacrilège que de censurer Damien Fauvet. Et j’ai eu raison car « La turbine Turbotech, une vraie réussite » a enregistré 11 700 vues rien que le premier jour. Trois jours plus tard, on approche les 20 000 vues et le millier de pouces levés.
Comme quoi, nous sommes nombreux à croire, encore et toujours, en un avenir heureux pour notre aviation générale. Et ça, c’est génial !
Jacques CALLIES