Cinquante ans ! Je sais le nombre dérangeant de prime abord car, derrière un magazine de passionnés de pilotage pour passionnés de pilotage, avant tout, il y a des hommes : mais voilà, impossible de se voiler la face, votre magazine fête ses cinquante ans d’existence cette année.
C’est même 50 ans et 22 de plus ce mois-ci, en ce qui me concerne, c’est quasiment une vie. Vous connaissez sans doute la blague : qui rêve d’être centenaire ? Personne, voyons ! Eh bien si, celui qui a 99 ans ! Le grand-père volant que je suis, rescapé du noyau dur de la première décennie d’un magazine qui s’appelait au départ « L’Aéro-Club et le Pilote Privé », se contente donc de son âge car l’important n’est pas d’être un bon pilote, mais un vieux pilote, n’est-ce pas ? Je me souviens, du reste, comme si c’était hier, du jour où j’ai débarqué à la rédaction de la rue Milton, à Paris, pour vendre un article sur Piper USA et le convoyage d’un PA-31 Navajo vers Genève. La chance m’y attendait car Francis Bergèse, aujourd’hui connu pour avoir dessiné Buck Danny, m’a proposé sa place. J’ai dit oui sans réfléchir !
Ce fut donc 50 années à travailler aux rênes longues, comme on dit en équitation, de façon que chacun puisse exprimer pleinement son talent. L’âge a tempéré les impatiences et irritations de mes débuts, la petite équipe actuelle est d’une fidélité inhabituelle de nos jours. Sans compter celle de nos rédacteurs, bénévoles pour certains, pigistes pour d’autres. Sans tous ces collaborateurs engagés, pilotes privés et professionnels pour la plupart, il n’y aurait pas chaque mois le petit miracle qu’est l’éclosion en kiosque d’un magazine de presse spécialisé dans l’aviation.
C’est aussi 50 années de coups de cœur pour des femmes et des hommes qui n’auraient pu accéder à l’aviation et qui ont bénéficié de l’esprit de compagnonnage d’Aviation et Pilote et qui, lorsqu’ils sont en capacité de le faire, perpétuent à leur tour cette tradition. Je n’ai jamais essuyé de refus après avoir recommandé un jeune pour son premier emploi : « OK, je prends « ton » gars à l’essai, mais il dégagera aussi vite qu’il est venu s’il n’est pas comme tu dis ! » C’est en fait la nécessité de faire découvrir « le plus beau bureau du monde » à tous ceux qui n’avaient pas de parents pilotes qui nous a incités à organiser dans un hôtel parisien une réunion d’information sur les formations de pilote françaises et nord-américaines. Nous avions publié une ½ page de pub dans la revue, loué une salle de 100 places, et ce sont 300 jeunes qui ont débarqué, au grand dam du directeur de l’hôtel… Ce succès inattendu nous a donc conduits à créer en 1992 le Salon des Formations et Métiers Aéro-nautiques (SFMA), un salon annuel, gratuit pour les visiteurs – pas question d’assassiner Mozart pour 10 euros – et nous y avons accueilli depuis cette date environ 200 000 jeunes.
C’est ensuite 50 années passées à écrire que le ciel est à tout le monde, à promouvoir un vol VFR plus facile, à encourager notre Administration à expérimenter le vol de nuit sur cheminements, à batailler pour la création d’un IFR accessible aux pilotes privés, et non pas réservé aux seuls pilotes professionnels, sous prétexte que ces derniers auraient peur de partager leur ciel avec des amateurs ! Combien de fois avons-nous cité les USA en exemple : « Ils y arrivent bien, eux ! Pourquoi pas nous ? » C’est pourquoi nous avons rejoint le conseil d’administration de l’Aircraft Owners and Pilots Association (AOPA France) et de l’IAOPA de manière à pouvoir user de notre influence lors des changements de réglementation nécessaires, faire tomber les barrières idéologiques et promouvoir l’aviation générale, notre aviation. C’est dans le même état d’esprit que j’ai accepté de collaborer au conseil d’administration du Groupement des Industriels et Professionnels de l’Aviation Générale (GIPAG) pendant des décennies car il me semblait essentiel que les professionnels comprennent les réalités techniques et économiques de leurs clients.
C’est enfin 50 années d’engagement auprès de vous, chers aviateurs, composées de beaucoup de joies, les meilleures étant nos raids vers Oshkosh, Moscou, Ilulissat, Longyearbyen, etc., de quelques moments de tristesse, et de combats à mener avec vous : il est si facile d’être désorienté par la complexité de l’aéronautique quand il s’agit d’acheter un aéronef, ou bien quand on est en détresse quelque part hors de nos frontières, ou encore que l’on a besoin d’un coup de main pour convoyer un avion, mais vous savez alors pouvoir toujours compter sur moi !
Merci à vous, chers lecteurs, chers annonceurs, chers partenaires : votre fidélité est notre force ! Nous souhaitons bien fêter ce cinquantenaire au soleil de juin prochain autour de nos bureaux proches du seuil de piste 26 à Lognes. Vous y serez les bienvenus en RER, en vélo, en trottinette, mais surtout en avion, en hélico, voire en ULM car cela doit bien pouvoir se négocier, cela aussi !
Jacques CALLIES