Chaque année, nous nous rendons à Oshkosh, dans le Wisconsin, car le salon AirVenture est un passage obligé pour tout fana d’aviation, quel que soit le niveau de sa passion. Faire ce pèlerinage au moins une fois dans sa vie est essentiel pour tout pilote, mais pas forcément pour les raisons les plus évidentes.
Bien sûr, le spectacle aérien est fabuleux et les machines exposées visibles nulle part ailleurs. Vous allez pouvoir les contempler, les approcher, presque les toucher, mais, en fait, la vraie richesse d’Oshkosh est de rassembler des femmes et des hommes plutôt que du métal, du bois ou de la fibre de carbone.
Les avions ne sont là que pour permettre aux uns et aux autres de se rencontrer et de partager. Chaque pilote, propriétaire d’un aéronef, en compétition pour les nombreux prix décernés pendant la semaine ou d’un classicisme banal, se rend à Oshkosh pour partager son expérience, sa passion, et retrouver des êtres qui partagent cette même passion. Très vite, les traditions se créent. On se retrouve tel jour à tel endroit pour s’envoyer une bonne bière avant d’aller au rendez-vous suivant. On fait des kilomètres à pied pour aller d’un point à un autre. On retrouve des compatriotes, on se fait de nouveaux amis.
Ces échanges sont l’âme d’AirVenture. La famille Poberezny l’avait bien compris. Tom et, avant lui, son père – tous deux présidents de l’EAA qui organise le rassemblement – avaient senti l’importance de ces relations humaines et en ont toujours préservé l’état d’esprit malgré un développement commercial et une croissance du nombre de visiteurs se répétant chaque année. Et, grâce à cela, les barrières entre les grands de l’aviation et nous autres, simples pilotes passionnés, sont abolies.
Je me souviendrai toujours d’être en train de tirer notre Wassmer 54 familial vers la piste qui allait voir notre décollage vers l’Europe, nous étions en sueur, stressés par la perspective de traverser l’Atlantique dans l’autre sens. Aussitôt, plusieurs personnes sont venues nous donner un coup de main. En tête, Mike Goulian, champion de voltige, une « pointure » inaccessible. Tout en poussant le Wassmer, il s’est présenté, non pas comme la star qu’il était, mais comme un simple pilote qui ne connaissait pas cet avion et voulait tout savoir de ce « strange French plane ». Stupéfait d’apprendre que nous repartions en vol pour la France, il nous a tenu compagnie jusqu’à notre décollage. Depuis, nous retrouvons Mike tous les ans avec un énorme plaisir : des anecdotes comme celle-ci, je pourrais en citer des dizaines.
Cette année, lors du rendez-vous Hartzell « Props and Hops » – hélices et houblon –, nous avons croisé Patrick Ky, l’occasion d’un entretien privilégié que nous aurions eu du mal à obtenir à Cologne. Le directeur général de l’EASA étant aussi dans l’atmosphère AirVenture, nous avons pu évoquer les dossiers les plus brûlants et la manière dont ce dernier souhaitait soutenir l’aviation générale. Ce fut un moment important, nous avons pu l’informer quant aux positions parfois surréalistes de certains de ses collaborateurs sur des sujets techniques d’importance : quand les barrières sociales et diplomatiques sont tombées, il devient possible de laisser parler son cœur. L’histoire s’est répétée avec Jack Pelton, Mark Baker – président de l’AOPA –, les représentants du GAMA ou d’autres associations, américaines ou européennes.
Ce qui est aussi frappant à Oshkosh, c’est comment les « sachants » se mettent au service de ceux qui n’ont pas encore attrapé le virus et d’en constater le résultat : que ce soit en enseignant à poser un rivet, en faisant visiter un avion remarquable, en passant des heures à répondre aux mêmes questions, avec le sourire. Combien de jeunes gens se sont-ils assis aux commandes d’un avion et commencé à rêver à leur premier vol ? Aujourd’hui, ce sont les mêmes qui hissent les enfants sur le siège d’un avion exposé.
Il y a quatre ans, Jack Pelton a clamé qu’il n’y avait pas assez de femmes ni de jeunes dans l’aviation et il a poussé l’AOPA qu’il dirige à faire de la place au sexe féminin. Cela a marché, les femmes commencent à trouver leur place naturellement. Et, grâce aux efforts de l’EAA et de l’AOPA, en collaboration avec les écoles et lycées américains, le nombre d’élèves pilotes, 27 000 de plus que l’année précédente, vient d’augmenter de manière significative. Voici autant de preuves que l’aviation est avant tout une belle histoire de partage entre expérience et relations humaines. Sinon, à quoi bon voler ?
Il ne nous reste plus qu’à nous mettre tous au travail et nous forcer à échanger avec ceux qui viendront forcément grossir nos rangs, nous rendant plus forts pour affronter les grands défis qui nous attendent.
Emmanuel DAVIDSON