Voilà un an que notre monde aéronautique est entré en résistance contre la COVID, que je vous ai raconté cette « envie de voler à en mourir » puisque, malgré le virus, nous avions décidé, mon testeur et moi, d’effectuer un vol de prorogation programmé pour le vendredi 13 mars 2020. Avec le recul, c’était idiot, non pas à cause du vendredi 13, mais à cause de notre manque de lucidité car, un an après, le virus a au moins infecté 122 millions de Terriens et en a tué 2,7 millions.
Mais c’était tellement cohérent avec la passion qui habite les pilotes : ne vit-on pas vraiment que si l’on est prêt à mourir pour ce que l’on aime ? En théorie, bien sûr, car la vie est tellement pleine de promesses, mais c’est une notion à laquelle je crois et que je teste volontiers quand j’échange avec des lecteurs qui pensent faire carrière dans l’aéronautique et qui s’interrogent, légitimement, sur l’intelligence d’un tel choix dans des périodes compliquées. Et, à la tête qu’ils font alors, il m’est facile de repérer, sans trop risquer de me tromper, ceux qui voleront un jour.
À propos, je me demande où est passé notre trublion suédois. En tout cas, nous avons déposé ce mois-ci en préfecture les actes fondateurs de GRETA !, dont l’objet est :
- la représentation des citoyens européens qui soutiennent l’aéronautique ;
- le regroupement d’experts en aviation générale, commerciale et militaire, dans toutes leurs composantes ;
- la défense des intérêts de tous les secteurs constituants de l’aéronautique ;
- la réflexion et la proposition de solutions qui devront accompagner une transition aéronautique raisonnée, dans un contexte écologique global ;
- de veiller à la diffusion d’une information factuelle et de réagir au plus vite à toute contrevérité diffusée par les médias de tous types.
Au moins, le premier pas est fait, il nous reste à nous organiser, à réveiller les ardeurs de ceux qui ont adhéré au projet car il y a, bien sûr, un gouffre entre l’idée et l’action. Sans compter les coups de mou générés par la COVID et les incertitudes. Notre ami Philippe Favarel, jusqu’à présent engagé à fond dans ce projet, auquel nous avons demandé d’écrire quelques mots sur Olivier Dassault – il l’a côtoyé à l’Assemblée plus souvent que les nombreux pilotes et amis chagrinés par sa mort, la rédaction s’excuse auprès d’eux de les avoir privés de parole – se demandait hier, après avoir écrit un mot chaleureux où il se félicitait qu’ « un mutin hasard nous ait mis en relation un jour… dans ce monde de coups bas et d’opportunisme… où l’amitié, c’est un parfum qui fait du bien », si ce combat contre le « Flygskam » n’était pas perdu d’avance.
Philippe est en première ligne pour entendre dans l’hémicycle des idioties franco-françaises, énoncées comme vérités premières, par des députés écologistes, et qui s’imposeront peut-être du fait de calculs politiques, malgré l’intelligence de ripostes mettant en avant une industrie aéronautique et spatiale stratégique impliquant des centaines de milliers d’emplois, l’équilibre de notre balance commerciale, notre défense, notre liberté de circuler, etc. : « Ne vaudrait-il pas mieux pas consacrer le temps libre qu’il nous reste à voler, créer des événements aéronautiques ? Si tu veux pouvoir agir, il nous faudrait créer un parti politique et gagner les élections ! » Bon… Mais quand bien même ? S’il est vrai que le pouvoir ne se partage pas, par contre, je ne suis pas sûr qu’il permette de choisir un cap et de le tenir. C’est le constat que fait Barak Obama en 840 pages dans « Une terre promise », le premier tome de ses mémoires, malgré sa majorité, à la fois au Congrès et au Sénat.
À la rédaction, nous croyons plus réaliste de faire des efforts de pédagogie, d’expliquer la chose juste sans jamais se lasser, encore et toujours, jusqu’à la fin. Le fait qu’on commence à parler de « smygflyga », un mot qui désigne des gens qui voleraient secrètement, en espérant que personne ne les remarquera, n’est-il pas un premier indice qui permette d’espérer que le bon sens va l’emporter un jour ?
Mais, pour que la tendance s’inverse, il faudra que la relève soit assurée car les hérauts meurent aussi – après Olivier Dassault, c’est l’ingénieur Jean-Marie Klinka qui nous a quittés il y a quelques jours, après avoir servi toute sa vie les pilotes, l’industrie aéronautique et l’administration. Deux personnes publiques qui ont prêché pour notre paroisse, tant auprès du grand public que des décideurs. Et ce sera bientôt le cas de toute une génération qui, après s’être épuisée à défendre l’aviation et la liberté qu’elle sous-tend, parfois covidée, en tout cas gretaïsée, hésite désormais entre des désirs insatisfaits et le « carpe diem » d’Horace, soit une zénitude assumée.
Prenons garde, si personne ne fait un pas en avant pour prendre la relève, il s’agira d’un suicide par passivité.
Jacques CALLIES