Franchement, je pensais que mon nouveau régime de semi-retraite allait me simplifier la vie. Je m’attendais, bien sûr, à quelques challenges, mais pas plus que cela ne l’a été au cours des quarante dernières années. Et, en tout cas, les premiers mois ont été passionnants. D’un côté, l’Assemblée nationale à mi-temps, en tant qu’attaché parlementaire, et la poursuite des quelques mandats associatifs visant à défendre l’aviation générale que nous chérissons tous ; de l’autre, des déplacements réguliers comme pilote, souvent pour continuer d’élaborer ce qui constitue l’architecture de notre magazine depuis si longtemps : l’apprentissage, le maintien des compétences, le partage avec les pilotes, les essais, les découvertes, les voyages…
Bon, ce n’est plus le cas. Pour le moment. Vous, moi, bientôt toute la planète, nous sommes en confinement, plus aucun pilote d’avion léger ne vole dans l’Hexagone.
Mon dernier vol date du vendredi 13 mars. Un vendredi 13, quelle audace ! Ce jour-là, j’ai effectué un test pour renouveler ma qualification IR/MEP. Que ceux qui pilotent des monomoteurs en VFR et visent la marche au-dessus le sachent, le vol de contrôle annuel IFR est un exercice qui se résume à une formalité, si vous pratiquez régulièrement l’aviation. L’exercice délicat serait les pannes moteur ou autres que va simuler le testeur, mais vous les attendez, vous y êtes prêt. C’est d’autant moins une surprise que le testeur souhaite préserver sa peau et son job, il ne fera pas courir de risque à l’équipage. La vraie panne, c’est en fait celle qui surprend, qui fait couler un filet de sueur le long de la colonne vertébrale, qui déclenche un chapelet de jurons et qui exige un peu de chance pour ne pas casser l’avion.
Pourtant, cette fois-ci, pour la première fois en tellement d’années, j’ai été mal à l’aise. Non de ne pas savoir gérer des difficultés toutes relatives et d’être déclaré inapte, mais plutôt à cause du Coronavirus ou Covid-19.
La veille, j’avais envoyé à mon testeur un SMS de mise en garde : « Au fait, je n’ai pas de température, mais je me dois de te dire que j’étais assidu à la buvette des parlementaires et au bar au 8e étage du 101 où barmen et députés se sont contaminés. Comme on va être en espace confiné pendant des heures demain, il va être compliqué d’éviter le contact. Dis-moi ce que tu en penses ? » Et j’avais reçu en retour : « Ah ! Ah ! Cela me va, je n’ai peur de rien ! »
Avec le recul et l’expérience du confinement que nous vivons tous depuis une semaine, il me semble incroyable que nous ayons pris, l’un et l’autre, un tel risque – après avis médical autorisé cependant.
Mais si j’ai été aussi léger, moi qui suis plus âgé et étais un peu plus averti des risques Covid-19 que mon testeur, c’est que l’envie de voler était terriblement prégnante. Une envie à en mourir, à y réfléchir. Car il n’y avait aucune urgence à réaliser ce renouvellement. Car mes qualifications américaines étaient à jour. Car tous les signes extérieurs de risque étaient là : le service des licences de la DGAC n’acceptait plus le public, les rassemblements de foule étaient déjà interdits, les salons annulés ou en passe de l’être.
Mais voilà, l’appel de l’air était irrésistible, le ciel était si bleu, les avions si beaux…
Quand je reçois désormais des messages sur mon iPhone de quelques curieux oiseaux de mauvais augure qui, s’ennuyant ferme, crient au loup et médisent, après une semaine de confinement seulement, sur l’aviation qu’ils ont adoré (j’en suis certain, sinon ils ne feraient pas partie de mes contacts), je suis déconcerté par ces retournements de veste : « Nous y sommes : plus d’avions, la planète va respirer à nouveau, la décroissance à la Greta, elle arrive, elle est là. On était au bout d’un système qui ne fonctionne plus., ce virus finit peut-être de mettre à exécution sa fin. Reste à voir sur quel socle sera reconstruit le monde nouveau après le passage de la crise aiguë annoncée. »
Comment est-ce possible de penser de telle manière ? Même si notre aviation pollue, nous la savons aussi vertueuse que possible par ses efforts technologiques incessants et tellement indispensable à l’activité des hommes !
Moi, la question que je me pose plutôt quand je regarde le ciel presque vide au-dessus de la Seine-et-Marne où je suis confiné, que j’interroge mon application Flightradar24 pour identifier l’avion qui, tout là-haut, vole encore, est de savoir quand diable les dizaines de milliers d’Airbus et Boeing des mille et quelques-unes compagnies aériennes mondiales vont reprendre l’air et filer dans toutes les directions pour sauver le monde.
Et notre aviation générale en même temps !
Jacques CALLIES