La fin de l’année est là, déjà ! Nous bouclons le premier numéro de l’année 2025, je suis dans ma chambre d’hôtel, par la fenêtre, je vois à peine la ville tellement le plafond est bas et gris, si gris qu’il faut lui pardonner comme l’aurait chanté Jacques Brel, le poète pilote. Les amis sont en ville, occupés à déguster un vin local et à le recracher, à regret sans doute, afin de ne pas laisser l’ivresse obscurcir leur faculté de jugement.
Ils sont arrivés hier pour une fête gastronautique annuelle qui rassemblait, en Anjou cette fois, une trentaine de pilotes désireux de partage, non pas en avion tellement il y avait de brume, mais en voiture. Six ou sept heures de route pour certains, à éviter de se faire flasher, au lieu d’un vol insouciant au soleil par-dessus les montagnes et les plaines, ce qui démontre combien le pilotage n’est pas un sport individuel comme beaucoup le croient.
Forcément, j’ai envie d’écrire un édito optimiste, qui parle d’amitié partagée, de soleil, de ciel bleu, de vents portants, de machines qui vont très vite très haut et d’autres qui permettent de respirer les humeurs de la terre au soir, fenêtre ouverte et coude à la portière. C’est pour cela que je suis passé sur « off » pour un moment, et également pour rester sobre… Aussi vais-je déjà vous souhaiter à toutes et à tous 365 jours d’une aviation libre et heureuse. Avec tout ce qui va avec et que vous allez répéter à satiété à vos proches d’ici quelques jours, avec la plus grande sincérité : paix, santé, bonheur…
Mais que souhaiter aux autres, qu’espérer de ceux qui ne partagent pas notre amour pour la troisième dimension et qui s’arrogent pourtant le droit de diriger notre vie et notre avenir, sans parler de celui de la planète, sans accepter ni contre-arguments ni statistiques solides ? Peut-être, tout simplement, de faire preuve d’honnêteté intellectuelle.
Ce besoin m’est venu en lisant la prose de Jean-Michel Bossuet, un article destiné à être publié dans un Hors-Série qui s’adresse à ceux qui envisagent – courageusement ! — d’embrasser la carrière de pilote de ligne. Jean-Michel s’est senti obligé de leur donner des arguments pour contredire ceux qui désignent l’aérien comme le responsable essentiel du réchauffement climatique, en rappelant, entre autres, que le transport aérien produit, dans la marge haute, 3 % des émissions de CO2 sur le plan mondial, comme l’a démontré le chercheur Paul Chiambaretto, Normalien agrégé, docteur en sciences de gestion de l’École polytechnique, alors que tous soutiennent que le transport aérien est responsable de plus de 10 % des émissions de CO2.
L’essai de l’Helix de Pivotal, piloté par notre ami Willy Tacke, que nous avons publié dans le numéro précédent, a achevé de me convaincre de l’absurdité des choix actuels, il m’a laissé sidéré, sans l’envie de l’essayer à mon tour : tant d’efforts et d’investissements depuis tant d’années pour arriver à quelques minutes de vol solo avec des assiettes de vol si extrêmes ? Je me souviens que l’aviation a commencé en 1890 avec Clément Ader et un vol de 50 mètres à 20 cm du sol et que cet eVTOL, un concept qui évoluera et s’améliorera avec le temps comme l’Eole d’Ader, prouve la possibilité de décoller et d’atterrir verticalement en milieu urbain dense, sans émission de carbone. Mais tout ceci n’est-il pas absurde, la tendance étant au retour des piétons et des vélos en centre-ville, et non de favoriser l’apparition de nouveaux véhicules, même volants ?
Dernier exemple, ce fameux bioSAF dont on nous rebat les oreilles, produit avec des plantes qui absorbent du CO2 pour leur croissance, ce CO2 par la suite réémis lors de la combustion : cherchez la logique ! Un kérosène SAF plus cher, produit en quantité bien insuffisante pour combler les besoins d’une aviation qui consomme 1 milliard de litres de kéro quotidiennement, et qui ne pourra pas totalement remplacer le kérosène d’origine fossile… Quant à l’e-SAF, ce carburant d’aviation durable produit à partir de CO2 industriel recyclé, d’eau et d’énergie propre, offrant une réduction de l’empreinte carbone de plus de 90 % par rapport au kérosène conventionnel, il serait la solution, m’a-t-on dit. Mais à quel prix, 5 à 6 fois plus ? Ce ne serait pas étonnant car, en matière de R & D, surtout dans les projets bas carbone, plus les perspectives économiques sont attrayantes, plus il est facile de lever des capitaux. Ce qui explique certainement les centaines de millions débloqués en quelques années en soutien à la filière aéronautique et l’apparition de projets plus fumeux les uns que les autres.
Osons donc penser et parler vrai ! La transition vers des modes de transport plus durables ne doit pas se faire au détriment de l’accessibilité et de l’emploi, trouvons un juste équilibre entre la nécessité de réduire notre empreinte carbone et le maintien d’un système de transport aérien qui reste accessible à tous. Quant aux taxes et régulations, elles ne doivent pas impacter négativement nos entreprises et les emplois. Il est vraiment crucial que les décideurs prennent en compte les conséquences économiques de leurs choix, afin de ne pas créer une situation où l’aviation devient un luxe réservé à une élite.
Aussi, au diable le vert à tout prix, retrouvons lucidité et honnêteté intellectuelle.
Jacques CALLIES