Comme la plupart d’entre vous, je ne suis pas issu d’une lignée de pilotes, il m’a donc fallu du temps, l’âge de 20 ans, pour comprendre que l’aviation était à ma portée. Si mon père n’était pas pilote, il était au moins marin, et l’École navale lui avait fait aimer la mer, j’ai donc profité de sa passion et de son savoir, j’ai appris à naviguer à ses côtés, et aussi aux Glénans, car il savait que la sécurité prime, que rien ne doit être laissé au hasard. Il m’a donc transmis son amour des grands espaces, et aussi ce besoin de larguer les amarres de temps en temps, juste pour quelques jours, ce qui reste compatible avec la vie de famille car épouse et enfants comprennent bien ce besoin de vivre l’instant présent parce qu’on ignore de quoi demain sera fait.
Ma transition avec l’aviation s’est donc faite naturellement, la mer et l’air, disons que c’est pareil, et voilà plus de 50 ans que je défends avec conviction, et par mes écrits, et mes paroles, et mes actes, cette aviation qui offre tant d’émotions à ceux qui la pratiquent. Et voilà aussi plus de 30 ans que, chaque année, à l’occasion de notre Salon des formations et métiers de l’aérien, nous prêchons l’aéronautique auprès de milliers de jeunes et de moins jeunes.
Cependant, après tant et tant d’années de prosélytisme, à expliquer que le ciel est à tout le monde, après tant de tables rondes avec nos administrations de tutelle dans le but de préserver les droits des pilotes, de défendre un IR accessible aux privés, d’essayer de démontrer que nous sommes les plus vertueux possible à ceux qui veulent clouer les avions au sol, je me demande, parfois, si tout cela n’est pas vain.
Et voilà que lundi dernier, vraiment par hasard, j’ai eu la confirmation que nos choix étaient les bons.
D’abord, j’ai convoyé avec rapidité et facilité, en compagnie d’un lecteur et ami, un monomoteur pistons depuis Toussus jusqu’à Boston Logan via Iqaluit. Trois jours d’escapade en région océanique et polaire qui m’ont confirmé, une fois de plus, qu’on peut vraiment voyager avec un avion léger – à la condition qu’il soit correctement protégé contre le givrage – sans subir de contraintes administratives, qu’on trouve de la 100LL partout sur la route nord et qu’on y reçoit une amicale assistance, au sol comme sur la fréquence. En plus, quoi de mieux pour se rafraîchir le cerveau que les icebergs ?
Ensuite, alors que nous patientions jusqu’au soir pour attraper notre vol commercial vers Roissy, nos pas nous ont entraînés vers The Aviation Museum of New Hampshire, un musée qui occupe un minuscule terminal passagers datant de 1937, installé à l’écart sur l’aérodrome de Boston Manchester Regional. Une préservation du patrimoine aéronautique plutôt rare car, au lieu d’être démolie comme cela avait été envisagé après que l’aérodrome soit devenu une importante base militaire lors de la Seconde Guerre mondiale, la Grenier Air Base, puis de se civiliser après la guerre du Vietnam, l’aérogare a été mise sur des remorques et déplacée de quelques centaines de mètres grâce à la volonté du maire de Manchester et l’argent de la ville.
C’est l’intarissable Jeff Rapsis, directeur exécutif, qui nous a présenté son musée, montré la façon dont, avec de la place que pour des archives, des documents liés à l’aviation, quelques objets, quelques bouts d’avions et des photographies, les 80 volontaires qui animent l’association ont pensé l’espace afin d’utiliser les talents d’hier pour inspirer les jeunes d’aujourd’hui, les inciter à raisonner aviation et aérospatiale, deux domaines cruciaux pour l’économie locale.
Enfin, Jeff nous a raconté comment son musée recevait chaque week-end de jeunes enfants dans la salle de classe qui leur est réservée, avec ses bancs d’écoliers et ses dessins au mur, pour expliquer, justement par le dessin et l’image, comment était construit et volait un avion, afin que les têtes blondes lèvent la tête intelligemment par la suite. Et aussi comment, une fois lycéens, ils étaient invités à suivre un programme de construction d’avion léger, puis à participer à des camps aéronautiques pendant les vacances d’été.
Alors, je l’ai interrompu : « Jeff, tu sais, vraiment, l’aviation n’a pas de frontière ! » Et je lui ai expliqué ce que nous faisions depuis 50 ans avec le magazine, notre salon des formations, notre construction d’un avion Zenair avec des jeunes d’un lycée technique… Et donc combien cette rencontre fortuite avec lui et son musée revêtait une importance singulière car elle justifiait nos combats passés et à venir.
Sincèrement, cela faisait bien longtemps que je n’avais ressenti une telle sensation de plénitude !
Jacques CALLIES