Depuis quelques mois, j’ai le sentiment que ce rendez-vous mensuel sur cette aviation générale que nous aimons tant, vous et moi, peut sembler légèrement décalé compte tenu du contexte international dans sa globalité et du climat particulièrement délétère entre les présidents Macron et Poutine. Comme disent nos chums québécois avec leur accent authentique, « ça n’a point de bon sens ! »
Pourtant, ce qui m’incite à rester confiant, c’est que ce climat n’a rien de nouveau pour moi. Lorsque j’ai été appelé sous les drapeaux en août 1976 à l’Annexe du CEAM de Brétigny, notre section se consacrait à des activités guerrières et secrètes, comme le maquettage du prochain Dassault, et aussi à la logistique d’un DC-8 de guerre électronique, bien avant Internet, les satellites et les électrons dans les cockpits. Bref, nous vivions des plus normalement sous un climat particulièrement glacial, grâce à un équilibre de la terreur basé sur la dissuasion nucléaire.
Clairement, cela m’avait semblé plus tard totalement inespéré de pouvoir découvrir la Russie post-soviétique. La fenêtre de tir ayant été suffisamment ouverte pour que presque deux générations puissent en profiter, je me suis engouffré dans la brèche comme beaucoup, et nous avons agi en bons prosélytes, entre nos reportages sur les constructeurs ingénieux de cette Russie complexe et fascinante, jusqu’à cette incroyable piste de Joukovski, près de Moscou, qui a accueilli 30 avions français lors de notre « Cap sur Moscou » de 2007, en plus de la navette Bourane avant nous.
C’était impensable, pourtant les Russes nous ont permis de le faire, alors je reste résolument optimiste quant à l’avenir.
Récemment, je l’ai été après avoir déjeuné avec David Auroy, le nouveau président à l’Aéroclub Air France de Toussus. Notre Ami Patrick Charrier, l’assureur retraité de Verspieren, m’avait intrigué en m’informant que tout allait pour le mieux à l’aéroclub qu’il copréside : « De 5 000 heures de vol en 2022, on est passé à 6 200 en 2023 ! » Une progression de pas loin de 25 % en un an seulement, il nous fallait la recette !
Premier constat, le président Auroy n’a que 36 ans et cela prouve, une fois de plus, que la jeunesse a toutes les audaces. Pilote professionnel dans la compagnie qui a donné son nom à l’aéroclub, il a d’abord souhaité rendre à son association ce qu’elle lui avait donné en le formant pilote privé : « Les administrateurs ne se bousculant pas au portillon, j’ai accepté ce poste. Ensuite, je suis devenu instructeur de vol FI (A) dans le cadre d’une formation aidée Liste 1. Malheureusement, mon travail en tant que copilote A320 ne me permettait pas d’effectuer plus de 130 heures d’instruction par an, par contre, j’ai eu le loisir de voir ce qui clochait vraiment : pour l’essentiel, nous étions en déficit d’instructeurs, il y avait une longue liste d’attente du côté des membres et, de ce fait, nous ne faisions pas assez d’heures de vol. »
En 2021, afin de prendre la présidence démocratiquement, David Auroy a mis sur pied, en toute transparence, un projet de reprise.
D’abord passer d’une gestion pyramidale – l’ancien président était engagé sur tous les fronts jusqu’à « en perdre le moral » et n’avoir plus de vision d’avenir – à une gestion horizontale où les responsabilités seraient distribuées en fonction des talents de chacun : un responsable simulateur, un responsable conformité, un responsable achat, un responsable pédagogique, etc.
Ensuite, réveiller les consciences : la flotte école était certes moderne avec ses cinq AT-3, mais les trois avions de voyage étaient vieillissants et bruyants, ce qui est problématique à Toussus, il fallait donc investir dans de nouvelles machines, ainsi que dans un simulateur de vol ; la zone de chalandise était importante, mais qu’en faire puisqu’il n’y avait pas assez d’instructeurs, il fallait donc recruter…
Il était nécessaire aussi de changer les mentalités, d’en finir avec les tabous, de faire confiance aux jeunes instructeurs, le seul moyen d’en recruter, puis de déverrouiller le système afin d’encourager les membres, leur permettre d’évoluer rapidement vers une machine de voyage…
Et, enfin, il fallait susciter le désir, l’envie de participer à la vie associative en organisant des voyages, en entreprenant la rénovation des locaux, avec l’aide de tous, pour en faire un lieu agréable.
On l’a compris, la révolution était en marche : les investissements ont repris, à hauteur de 700 K€ pour acheter un Alsim et deux quadriplaces Diamond, tout cela d’occasion. Le recrutement des instructeurs s’est fait en frappant à la porte des écoles professionnelles, mais, surtout, grâce au fait que, après un processus d’intégration standardisé, on leur fait désormais aussitôt confiance pour former des élèves puisque, après tout, la seule chose qu’ils ont apprise à l’école, c’est bien de former des PPL… Ajoutez à cela une bonne ambiance, un climat de confiance mutuelle, des sorties de club, et vous comprenez la raison de cette spectaculaire progression des heures de vol dans cet aéroclub.
Rien de bien magique, que du bon sens !
Jacques CALLIES