Au moment où j’écris ces lignes, nous n’avons toujours pas de ministre des Transports et c’est le cadet de mes soucis. Je n’attends plus rien de ce dernier, au moins depuis 2012 où un message explicite nous avait été envoyé avec la création à la place des Transports d’un « ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie » et où le mot transport n’apparaissait plus. Le message était clair, le transport de façon globale et l’aéronautique en particulier devenaient bien trop clivants du fait de leurs effets directs et indirects sur l’environnement. Et si, avant 212, nous avions encore l’oreille du ministre ou du Premier ministre quand il le fallait – je pense à Michel Delebarre ou à Jean-Pierre Raffarin –, il n’a plus fallu y compter après. Ce manque de lien, cette déconnexion volontaire, a été voulu, c’est la résultante de l’action de groupes verts très actifs qui ont fait fi de la vérité, sachant bien que l’individu n’oserait pas exprimer une opinion personnelle sur un sujet aussi polémique…
En voici encore une preuve en ce début d’année, l’abandon du village aéronautique Green AirPark après 15 ans de bagarres, le pilote Marc Pollin vient de jeter l’éponge après avoir englouti ses économies et celles de ses associés, un engagement qui mérite notre respect : « Lorsqu’en 2007, mon beau-frère, alors sous-préfet de Montmorillon dans la Vienne, m’a consulté sur le bien-fondé des élus de son arrondissement à racheter une piste privée, j’étais bien loin d’imaginer que cela donnerait naissance à un projet qui m’occuperait autant et viendrait à bout de mes économies et de mes illusions sur le fonctionnement de notre chère Administration ! »
À cette époque, les premiers villages aéronautiques français viennent de sortir de terre – Vendée Airpark et Biscarrosse – et le site de cette piste privée se prête parfaitement à un projet d’Airpark. Rapidement, Marc signe des promesses d’acquisition avec les agriculteurs, trouve des clients, un investisseur privé et, encouragé par le maire et son équipe municipale, constitue avec l’aide d’un cabinet d’architectes un dossier de permis d’aménager. Et puis, sans que jamais qu’il ne lui soit clairement expliqué que ce projet n’était pas recevable, l’Administration, et en particulier la DREAL et la DTT, s’acharne à multiplier les obstacles pour le décourager de poursuivre. Derrière une neutralité de façade, il sent à chaque réunion à quel point ce projet – des villas individuelles pour des propriétaires d’avions – est déconnecté de leur vision du monde.
À court d’arguments après ses propositions pour préserver la pie-grièche écorcheur, l’alouette lulu et le triton marbré, Marc est déféré devant le Tribunal des projets potentiellement dangereux pour la nature (CNPN) où il reçoit un premier coup de grâce…
Finalement, il vient d’apprendre que, côté urbanisme, les terres concernées venaient d’être déclassifiées en terres agricoles conformément aux nouvelles dispositions du Code de l’urbanisme lorsqu’un PLU Intercommunal est en chantier. Ces nouvelles règles, combinées avec la loi Climat et Résilience et ses décrets d’application, condamnent toute opération d’aménagement d’envergure : la messe est dite !
Seconde déconnexion récente, il s’agit d’un appel d’un lecteur inquiet qui, revenant d’un vol de nuit, s’était fait « flasher » en excès de vitesse sur le cheminement de retour vers Toussus-le-Noble : « J’ai reçu une demande d’explication de la DGAC car ma vitesse était trop élevée, c’est probable car j’étais en fin de test, fatigué, j’ai dû être inattentif et pressé de me poser. Mais suis-je responsable ou est-ce mon testeur ? » J’hallucine à nouveau, la seule réponse sensée qui me vienne à l’esprit est celle-ci : comment avons-nous pu en arriver à une telle déconnexion entre les pilotes et leur Administration de tutelle ? Pour deux décibels en plus dont il faudrait protéger des riverains avachis devant leur télé à 20 heures ?
La troisième déconnexion de ce mois m’est arrivée avec Emmanuel Davidson après un déjeuner au Touquet avec des clients et amis. Au moment de redécoller à 15 h 20, un slot est tombé de Bruxelles pour un décollage à 17 h 12, soit deux heures à attendre ! Insensé ! Outre le désagrément de patienter dans un aéroport glacial, cela rendait en plus notre vol impossible du fait d’une arrivée de nuit certaine car il n’est plus permis à un pilote IFR de se poser de nuit avec un passager, fût-il pilote IR, sans avoir d’expérience récente. Après avoir vérifié que la MTO nous garantissait environ 2 000 ft de plafond jusqu’à Toussus, nous avons donc décollé à vue. Ce n’était plus le cas peu après avoir quitté l’espace de Beauvais et, si nous sommes bien arrivés à destination, c’est grâce à l’aide spontanée de Pontoise, du Bourget, de Roissy et d’Orly qui, slot ou pas, nous ont acceptés en IFR sans nous poser de questions, nous disant simplement : « Grimpez donc à 4 000 ft, vous serez bien mieux au soleil ! » Quel soulagement que de se retrouver enfin dans un monde connecté, celui des hommes volants !
Trêve de pessimisme, osons rêver, puisse notre prochain ministre des Transports comprendre la nécessité urgente de reconnecter son ministère à l’aviation !
Jacques CALLIES