Avant même d’embrasser ma carrière de pilote rédacteur, il s’est trouvé que le pilotage était devenu une drogue addictive, il me fallait ma dose hebdomadaire, ce qui compliquait parfois la vie de mon aéroclub : « Où est passé le Cessna 150 ? Euh… Jacques l’a abandonné en Angleterre, mais il a promis de le ramener au premier rayon de soleil. » Il fallait bien faire avec moi, voyage VFR et « safety first » étant antinomiques.
Ceci dit, malgré mes fantaisies, je suis resté proche de l’aéroclub de ma jeunesse où le secrétaire est devenu au fil du temps président et il l’est toujours, inoxydable, fidèle gardien de l’ambiance désuète, mais généreuse, de ma jeunesse, quand nous nettoyions les avions à l’éponge. Et c’était formidable. C’est pour cet art de vivre l’aviation que j’ai d’abord installé la rédaction dans un hangar, puis fait construire nos propres bureaux à Lognes, rien que pour
voir des avions tous les jours, en piloter le plus souvent possible, afin que nous devenions des spécialistes de la chose.
Alors que nous nous apprêtons à survoler le seuil d’une nouvelle année, il est impossible d’ignorer les turbulences qui agitent notre ciel aéronautique. Mes cinquante années d’expérience dans le monde de l’aviation générale m’ont permis de voir évoluer notre passion commune au gré des vents changeants de la société, notre aviation générale, jadis symbole de liberté et d’une foultitude d’aventures majuscules, fait plus que jamais face à des vents contraires. Les préoccupations environnementales – les tornades se suivent, l’Islande qui nous ravitaille lors de nos transits océaniques menace de rentrer en éruption, etc. –, les taxes, le handling imposé et le carburant toujours en hausse, les défis liés à l’entretien des nos avions – cinq mois pour obtenir un cylindre et un échappement pour notre N77GJ –, et, enfin, les soubresauts géopolitiques – à quand un nouveau raid sur Moscou ou Tel-Aviv ? –, nous obligent à ajuster constamment nos capteurs.
Certains pourraient voir ces défis comme des cieux de plus en plus hostiles, mais, nous autres, sommes familiers avec l’idée que chaque vol comporte son lot d’obstacles à surmonter. Il est dans notre ADN de naviguer au-dessus des nuages. J’en ai eu la preuve ce mois-ci en apprenant que Gérard David cherchait à me joindre. Pour ceux qui ne connaissent que le peintre flamand, ce David-là manie la plume et le manche d’un avion ou d’un hélico aussi bien que le premier maniait le pinceau. Je l’avais croisé quand il était directeur de la com d’Intertechnique, puis j’ai découvert le personnage quand il a rejoint Dassault, il nous a prouvé combien il avait l’esprit de famille, combien c’était un pilote et instructeur hors-pair, un homme, un vrai, sachant donner, enseigner, partager ainsi qu’il nous l’a démontré lors de notre « Cap sur Oshkosh ». Un tempérament, aussi. J’ai encore en tête un ordre qu’il n’avait pas à me donner : « On t’attend au Bourget, le Falcon ne décollera pas sans toi. Je connais tes excuses, ta société est petite, la revue est en retard comme d’habitude, mais je m’en fiche, fonce ! »
Aussi ai-je rappelé Gérard avant qu’il ne désespère Hélène : « Je voulais t’annoncer mon intention d’écrire chez vous ! » Inespéré ! Car si notre équipe est composé de pilotes privés et professionnels, d’instructeurs, devenus rédacteurs par la force des choses, il lui manquait un homme de lettres, un normalien, qui partage nos valeurs.
Comme Gérard, nous pensons que les voix écologistes qui s’élèvent contre notre passion ne peuvent être ignorées. Qu’en tant qu’amoureux des cieux, nous avons une responsabilité envers cette planète que nous tous, seuls ou ensemble, avons tant aimé explorer. L’heure n’est plus aux batailles de chiffres, nous l’avons fait dans tellement de nos éditos et articles, défendons plutôt l’aviation en tant que catalyseur du progrès technologique et de l’innovation environnementale.
Comme Gérard, nous voyons bien la nécessité de réduire notre empreinte carbone, de repenser nos itinéraires, d’être plus efficaces : n’hésitez pas à interpeller le contrôleur quand il vous propose une route qui met à mal votre vertu, cela fonctionne dans la plupart des cas.
Alors que nous faisons face à un monde agité par des conflits, des catastrophes et des incertitudes économiques, rappelons-nous que les pilotes sont formés pour naviguer dans des conditions difficiles, que nous savons maintenir le bon cap, ajuster nos altitudes et trouver des routes alternatives lorsque c’est nécessaire.
Cinquante ans d’écriture, de vol et d’exploration m’ont appris que notre passion est une source infinie de découverte, de camaraderie et d’inspiration. Oui, parfois, nous semblons prêcher dans le désert, mais rappelez-vous que même les déserts peuvent révéler des oasis inattendues. Continuons de voler avec respect pour notre environnement, d’innover face aux défis économiques et de partager notre amour de l’aérien avec la prochaine génération.
Jacques CALLIES