Ce mercredi 23 août, un peu avant 18 heures, alors que nous volions en Cessna 182 sur pilote automatique, à 2000 ft, sur un axe parfaitement rectiligne entre Le Touquet et Coulommiers, nous venions de quitter Beauvais pour passer avec Paris Info quand le contrôleur parisien nous a signalé un appareil qu’il n’avait pas en fréquence arrivant en sens inverse, à la même altitude. Nous l’avions repéré grâce au « Traffic Advisory System » (TAS) installé à bord avant de l’apercevoir visuellement à nos « une heure, à moins d’un nautique, même altitude » sur une trajectoire de croisement sans risque. Pourtant, nous avons bien failli finir hachés menus quand le trafic en question, un Cessna 150, a viré vers nous avant de nous apercevoir en plein milieu de son pare-brise et d’avoir le réflexe de donner le brutal coup de volant qui nous a fait disparaître de son champ de vision !
Ami pilote, si tu te reconnais, sache que nous ne t’en voulons pas car rien ne t’obligeait réglementairement à être en fréquence avec Paris Info, ni, autre exemple, à avoir téléchargé gratuitement et mis en route l’application SafeSky. Mais… si tu l’avais fait, et aussi si tu avais regardé attentivement au-dehors avant de virer, tu ne te serais pas fait la frayeur de ta vie.
Sache aussi que, si jamais tu nous avais découpé en morceaux avec ton hélice, les enquêteurs du BEA auraient découvert au sol, dans la tripaille assaisonnée à l’AU4G, des GoPro contenant un reportage sur les équipements embarqués et autres applications permettant de prévenir les collisions aériennes, article que tu liras plus loin.
Et, c’est là que cela devient presque tragicomique car j’avais enregistré au Touquet Paul Windey, responsable des relations publiques de SafeSky, se plaignant du fait que trop de pilotes refusent d’être détectés et de détecter les autres au nom de la liberté individuelle, de leur droit fondamental à se déplacer en toute discrétion. Et aussi en vertu d’un postulat bien connu, le fameux « Pas vu, pas pris ! », un brin poussiéreux pourtant.
Quelle erreur quand on apprend les statistiques alarmantes des collisions évitées de justesse, qui n’ont rien à voir avec les quelques collisions répertoriées. C’est grâce à ce dernier « airprox » que je viens de réaliser l’énormité du sujet. En effet, si je me réfère à mon expérience personnelle, quelques milliers d’heures en bientôt 50 ans de vol, je n’ai croisé de « vraiment » très près que deux avions : un Mooney alors que je pilotais notre Seneca sur feu le transit aérien du Bourget et un avion de ligne alors que j’étais aux commandes d’un King 90, en liaison radio et radar avec Strasbourg. Le premier événement avait fait l’objet du dépôt d’un airprox de ma part, l’autre non pour une raison que je pense avoir deviné : tout le monde se sentait fautif. Seulement deux peurs en autant d’années, pas de quoi en faire un tout un plat, n’est-ce pas ?
Mais voilà que Tristan Fily, le développeur de SafeSky, vient de me dessiller les yeux : il a repris les archives de trafic, tous aéronefs confondus, et répertorié les situations ou deux appareils avaient moins de 500 ft de séparation horizontale et moins de 100 ft en vertical. Le résultat ? Juste 230 situations repérées sur le seul mois d’août 2022… Ce chiffre énorme a évidemment un petit côté orwellien qui déplaira aux libertaires patentés dont nous a parlé Paul, mais qui sont, bien sûr, dans l’erreur car ces outils n’empiètent pas sur la vie privée des utilisateurs et n’ont pas vocation à restreindre notre liberté, ils permettent simplement de partager des informations de base telles que la position, le cap, la vitesse et l’altitude de l’aéronef dans le but d’améliorer notre sécurité. De façon anonyme.
Une fois ceci bien compris, tout le monde a donc intérêt à signaler sa position, à l’ancienne via une fréquence d’information de vol et un transpondeur, mais aussi de façon moderne en utilisant les applications et équipements de sécurité, gratuits pour certains, financièrement accessibles pour d’autres. C’est la seule façon possible de réduire le nombre d’airprox qui nous restent inconnus tant qu’il n’y a pas eu collision.
Ne dit-on pas que la liberté des uns s’arrête là où commence celles des autres ? Peut-être que certains sont prêts à accepter la mort au nom de leur liberté, mais ce n’est pas notre cas, nous volons toujours avec un transpondeur allumé, en contact avec le SIV en VFR, en signalant notre position plutôt deux fois qu’une en auto-info, nous veillons les trafics, et, dès lors, nous pensons avoir le droit de voler en sécurité, sans risque de percuter ou d’être percuté par un libertaire qui a coupé son transpondeur ou encore par celui qui se fiche des consignes d’aérodrome, qui poursuit un vol en IMC pirate dans un secteur où il n’est pas supposé être, faisant fi de sa responsabilité envers les autres usagers de l’air, comme si la sécurité de la communauté aéronautique ne le concernait pas.
Or il ne peut y avoir de sécurité sans effort collectif, hélas.
Jacques CALLIES