Vendredi dernier, je venais de quitter Melun-Villaroche où j’avais flâné une partie de l’après-midi pour admirer la mise en place de la Patrouille de France, des Rafale Marine et de warbirds engagés dans le meeting Paris Air Legend du week-end, quand on m’a appris qu’un Robin avait percuté le sol à quelques centaines de mètres de l’aérodrome de Dijon et que son pilote, notre ami Joël, n’avait pas survécu. J’avais des picotements plein les yeux et, d’un coup, voilà que l’aviation avait un goût infect : comment un pilote VFR expérimenté avait-il pu se crasher à proximité de l’aérodrome de Dijon, dans un classique déroutement à cause du mauvais temps, déjà pratiqué régulièrement ?
Généralement, les accidents aériens mortels nous font méditer sur la manière dont nous pratiquons la troisième dimension – j’écris parfois que je suis prêt à mourir pour elle, il s’agit d’une figure de style, vous vous en doutez –, mais c’est rageant lorsqu’il s’agit d’un fidèle lecteur, toujours particulièrement attentif à nos mises en garde.
Alors vous vous faites des nœuds au cerveau, vous spéculez, seul, avec des pilotes et instructeurs, vous voulez comprendre ce qui a bien pu se passer, même si le bon sens exige de laisser au Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) le temps d’effectuer son enquête et de la rendre publique.
Mais cela prend du temps et c’est pourquoi je veux déjà exprimer ma surprise en apprenant que l’aérodrome choisi n’était pas le grand Dijon-Bourgogne, avec ses deux pistes de 1800 et 2400 mètres, ses contrôleurs, ses approches GPS, son balisage de piste, etc., mais le petit Dijon-Darois, une plateforme non contrôlée enchâssée entre les collines, les arbres et une route nationale, avec 750 mètres de piste seulement, de plus en pente. Un aérodrome dont l’approche demande du soin aux non habitués, même par beau temps, je le sais, nous l’avons pratiqué régulièrement puisqu’on y construit les avions Robin, entre autres.
En cas de problème, autant essayer de se faciliter la vie et non d’accumuler les difficultés supplémentaires, ne pensez-vous pas ?
Je veux aussi dire ma déception parce que nous écrivons depuis plus de 40 ans qu’il vaut mieux regretter d’être au sol que d’être en l’air : « Horizon pas net, reste à la buvette ! » comme disaient nos anciens. Mais, on le sait, certaines natures sont optimistes, je suis de celles-là et, si jamais vous vous faites piéger par la météo, et regrettez d’être en l’air, soyez certain que le salut ne viendra, le plus souvent, que par le haut. Montez au lieu de descendre, du moins s’il n’est plus temps de faire demi-tour, demandez de l’aide immédiatement. Souvenez-vous que sur 121,5 MHz, il y a toujours un militaire qui veille, prêt à vous assister.
En fait, les nombreux crashs sans perte de contrôle de l’avion, qu’on désigne par CFIT pour « Controlled Flight Into Terrain », devraient peut-être nous inciter à réfléchir sur le maintien des compétences des pilotes privés. En effet, alors même qu’on exige d’eux un entraînement de 5 heures au vol sans visibilité (VSV), sous visière ou capote, lors de leur formation, on ne leur impose plus rien par la suite, sauf erreur. En tous les cas, je n’ai pas trouvé un pilote privé ayant été réentraîné au pilotage sans visibilité lors de sa prorogation biannuelle avec instructeur. Pourtant, en une heure de vol, au minimum, le temps ne manque pas.
Le risque de se retrouver accidentellement embringué dans une mauvaise météo ou bien à devoir finir un vol de nuit est une réalité objective quand on s’éloigne du tour de piste pour entreprendre un voyage, ce à quoi finalement sert un avion léger. Vous êtes probablement passé par là, moi, je vous l’avoue, j’ai connu bien des peurs rétrospectives, comme la fois où j’ai préféré grimper plutôt que de percuter le relief, en demandant l’assistance d’un contrôleur italien qui m’a guidé vers Rome. J’ai été puni, bien sûr, une punition pédagogique puisque j’ai été interdit de décollage deux matins de suite, le temps qu’il n’y ait : « Plus un seul nuage entre les sept collines ! ».
Comme me l’avait confié mon ami champenois Claude Penot, du temps où il présidait la FFA, après un échange sur nos expériences réciproques : « En fait, nous avons survécu à notre PPL ! » La formation des pilotes privés a été nettement améliorée depuis, mais il appartient au breveté de faire un point lucide sur ses besoins de réentraînement. Pratiquez le demi-tour en VSV, les approches crépusculaires, le déroutement par météo dégradée. Ces exercices sont ceux qui nous maintiennent en vie. La répétition des manœuvres habituelles ne fait que renforcer le faux sentiment de sécurité que l’on développe avec le temps.
Jacques CALLIES