La période estivale pratiquement terminée, après un moment de liberté vaccinée et masquée, à l’heure où il faut livrer ce billet, le premier mot qui me vient à l’esprit est « normalisation », le retour aux anciennes règles, lorsque nous autres pilotes devions, tout en vivant notre passion, prendre garde à gauche, à droite, nous méfier du coup dans le dos.
Et c’est vrai que le ciel s’est s’éclairci.
D’abord, la reprise du trafic aérien est notable. En France, en Europe, et même incroyablement rapide aux USA comme Emmanuel et moi l’avons constaté en juillet lors de nos déplacements, les avions des lignes intérieures américaines, aux couleurs de United et Delta, étaient surbookés. Quant à Eurocontrol, il prévoit, d’ici la fin de l’année, 79 % du trafic d’avant la crise sanitaire.
Ensuite, je n’ai pas entendu un seul vacancier méditerranéen, ni un seul écologiste se plaindre de la pollution et du bruit générés par les Canadair, Dash 8 et autres hélicos qui volent non-stop depuis une semaine dans le sud de la France. Mieux, tous semblent regretter que cette armada, tant décriée dans son principe, ne puisse pas voler de nuit… Nul ne regrette non plus les évacuations sanitaires aériennes depuis les territoires ultramarins français, ni le pont aérien organisé pour permettre l’évacuation des ressortissants américains, australiens, européens et leurs alliés. Pas même Greta qui a peut-être enfin pigé qu’un trimaran, cela ne sert à se déplacer qu’en vacances et à condition d’en avoir les moyens.
Enfin, lors d’un déplacement de quelques jours à travers la France entre amis, copilote d’un PA-28, un tapis volant à l’échelle de la France – café et croissants le matin à Carcassonne, huîtres et langoustines à midi sur l’île d’Oléron et dîner en famille à Paris le soir –, nous avons remarqué que les fréquences des Services d’information de vol (SIV) étaient bien encombrées, nous avons même été impressionnés par la dextérité d’une contrôleuse de Paris Info et son modeste « merci » lorsqu’elle fut félicitée à juste titre par un pilote quittant la fréquence. Au sol, nous avons rencontré des pilotes masqués, mais aux yeux pétillants à l’idée d’un petit vol local, et un propriétaire enchanté de nous faire faire le tour de son TB20 à l’avionique rénovée, un nouvel arrivant à Vendée Air Park auquel il ne manque désormais qu’un Cessna 182 « pour être libre » .
Mais la norme en matière aéronautique, c’est aussi la difficulté qui assombrit un ciel que nous aimons bleu. La première concerne plutôt les pilotes à la marge, les amateurs de transport public de personnes illicite, ce qu’on appelle pudiquement le TPPI. Elle est sous-jacente au rapport d’enquête publié cet été par le BEA sur l’accident du Piper Malibu survenu en février 2019 à Courchevel, un accident intéressant car l’avion était exploité par une start-up, Bluewings, elle-même émanation d’Air France, ce qui avait fait croire aux clients de ce Malibu qu’ils voyageaient dans les mêmes conditions de sécurité qu’une compagnie aérienne. Le coavionnage dans les règles est cependant épargné par le BEA – tant mieux pour ceux d’entre nous qui l’ont soutenu – dans la mesure où « certaines plateformes permettent le développement de l’activité d’aviation légère tout en respectant les règles en vigueur et participent ainsi au développement d’une culture aéronautique en France ». Mais le BEA, dans sa grande sagesse, recommande néanmoins à la DGAC de nous serrer la vis, de « formaliser un plan d’actions coordonnées entre ses services compétents et la GTA pour rechercher activement et identifier les opérations aériennes proposées ou organisées par des plateformes Internet qui s’apparenteraient à des opérations aériennes commerciales sans répondre aux exigences réglementaires en vigueur, puis statuer clairement sur la licéité de ces opérations et faire cesser les opérations ne garantissant pas le niveau de sécurité requis. » Nous voilà prévenus, soyons en règle, il va y avoir recrudescence de képis sur les terrains, et forcément des dommages collatéraux !
L’autre menace qui concerne cette fois 90 % de notre activité est l’interdiction, demandée par la Commission européenne, d’importation sur le territoire européen du Tetraethyl lead (TEL), ce qui revient à interdire à nos « chers » pétroliers de fabriquer l’Avgas qui permet à nos moteurs à pistons de fonctionner, et donc à nous obliger à importer des USA le produit fini. Du moins tant que les écologistes américains, encouragés par leur ami et président Biden, ne l’interdiront pas, eux aussi ! La menace nous est connue depuis des semaines, elle se précise et cela risque de faire très mal : au Moyen-Orient, où l’Avgas est importé depuis les USA, nous avons payé la 100LL 6,35 $ le litre à Amman et 11 dollars au Caire !
Nous savons que cela fait plus de 20 ans que le plomb est censé avoir disparu de l’air que nous respirons, santé et écologie obligent, mais comment y arriver tant que des solutions pérennes, certifiées et financièrement abordables, n’auront pas été inventées ? Il va nous falloir, une fois de plus, gagner du temps.
Tout redevient normal, en quelque sorte !
Jacques CALLIES