Comme vous tous, du moins je le crois, toute ma vie j’ai rêvé de l’avion parfait. Car c’est une question récurrente que me posent les pilotes au hasard de nos rencontres sur les aérodromes quand ils apprennent que j’ai passé des dizaines d’années de ma vie de pilote, assis en place gauche dans des cockpits d’avions chaque mois différents : petits, grands, lents, rapides, légers, lourds, à m’efforcer de ressentir les bonnes vibrations qui se dégagent forcément de l’appareil, qu’il soit bien né ou pas, pour vous le raconter. Nous ne parlons jamais d’argent, ou du moins qu’à la fin, comme tomberait un couperet, car la notion est ancrée dans l’inconscient collectif, immédiatement : tout pilote stagiaire, alors qu’il remplit son premier chèque pour régler sa première heure de vol, comprend instinctivement que c’est l’argent qui fait voler les avions et fabrique les héros : « Sans pognon, pas d’avion, no bucks, no Buck Rogers ». Sans avoir lu Tom Wolfe – qui lit encore ? –, il pressent, comme le gars qui vient de se shooter à l’héroïne, que sa vie va être une course permanente à l’argent pour s’offrir le plus régulièrement possible une dose de troisième dimension car il n’est point de drogue plus addictive, ni plus coûteuse. Pour m’en tirer, je passe généralement en revue les qualités que j’ai retrouvées sur les trois avions – un Cessna T210N Centurion, un Piper PA-34-220T Seneca III et un Mooney M20R Ovation2 GX – qui ont accompagné et accompagnent encore, pour le dernier, nos déplacements professionnels et reportages depuis 40 ans, et dont j’ai toujours été le pilote attitré puisque j’occupe ce genre de poste indéfini qui n’est possible que dans les TPE, à la fois multitâche, complexe, le pire étant d’être le patron, le meilleur et corollaire du précédent, étant évidemment de décider qui s’assoie aux commandes quand la rédaction décolle dans les matins blêmes pour en revenir avec les étoiles, mission accomplie.
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