Airways formation vient d’être mis en liquidation judiciaire, ce jeudi 29 avril par le Tribunal de commerce d’Agen. En moins de cinq ans, l’équipe dirigeante et son président, Jérôme Binachon, ont sérieusement entaché la réputation de l’une des écoles les plus réputées de France, voire d’Europe, créée par un homme qui avait placé la rigueur de la formation au-dessus de tout : Michel Malécot. Le tribunal de commerce fait état d’un passif de 17 millions d’euros pour un actif de 4,5 millions. Il a toutefois autorisé la poursuite de l’activité jusqu’au 25 juin ; il a constaté la cessation de paiement au 31 décembre 2020 et fixe au 1 Er juin 2021 le délai pour d’éventuelles offres de reprise. L’administrateur doit dire rapidement si les vols peuvent reprendre.
Au-delà de ce qui apparaît comme un immense gâchis, le plus grave est la situation de 217 élèves qui sont en cours de formation au sein de l’école et pour lesquels le cursus risque de s’arrêter là. Tous ne sont pas au même stade : certains étaient sur le point d’avoir terminé, d’autres étaient en phase ATPL théorique avec un PPL en poche et d’autres enfin n’avaient même pas commencé leur formation. La situation est d’autant plus préoccupante que quelques-uns avaient versé, il y a à peine trois semaines, l’intégralité du montant de la formation, soit 100 000 euros. Des sommes encaissées alors que l’entreprise était au plus mal. De plus, la formule lancée par Jérôme Binachon et son équipe a attiré plus de 1000 candidats qui ont chacun versé 200 euros dans le cadre d’un concours pour 12 formations gratuites, un argument de poids. Avec ces derniers « postulants », ce sont près de deux mille victimes qui ont auront été abusées par un système défaillant. En effet, faute de moyens, aucune formation gratuite n’a été mise en place.
Les actifs de l’entreprise ne semblent pas pouvoir venir compenser la quinzaine de millions de pertes qu’affichent les comptes de la société. Les élèves ne sont évidemment pas les créanciers de rang 1, il y aura d’abord les salariés puis les organismes sociaux. Résultat : pour les candidats, c’est la double peine. Ils sont lourdement endettés avec pour certains une formation non validée et pour d’autres une formation quasiment pas commencée. Les premiers pourront peut-être trouver une solution pour terminer leur cursus, les autres n’ont que leurs yeux pour pleurer… De plus, un grand nombre d’entre eux n’ont juste que le bac, ce qui ne va pas faciliter leur entrée sur le marché du travail pour rembourser un emprunt. Ces élèves viennent d’écrire à Jean-Baptiste Djebbari, le ministre des Transports pour lui demander des mesures de soutien « afin d’éviter de condamner les élèves à subir les conséquences d’une liquidation qui ne leur serait en rien imputable ». Il est facile d’imaginer le désarroi de ceux qui, dans une période très tourmentée, avaient nourri l’espoir d’être pilote, facile d’imaginer aussi la colère des parents…
Toutefois, un repreneur s’intéresse sérieusement à l’affaire. Il connaît bien l’entreprise et Jérôme Binachon mais il a surtout été contacté par les salariés, un signe qui sera certainement positif pour le Tribunal de commerce. C’est avant tout un homme rompu au business, spécialiste de l’aérien, pilote, instructeur et convaincu qu’une reprise est possible en sauvant les élèves de la catastrophe, leur permettant d’aller au bout de leur formation. Son projet pourra comporter naturellement une sérieuse restructuration de l’équipe dirigeante avec des salaires adaptés à la situation d’urgence d’Airways Formation. Il mettra 25 % du budget global de reprise et va s’efforcer de convaincre les présidents des quatre régions où sont implantées les bases d’Airways : la Région Loire Atlantique, Occitanie/Pyrénées-Méditerranée, Ile de France et Nouvelle Aquitaine. Si chacune investit 1,5 million, le projet devient viable à condition d’appliquer une gestion particulièrement rigoureuse. Le soutien de Jean-Baptiste Djebbari pourrait être alors décisif dans ce sauvetage d’urgence de l’outil de production, afin de sortir Airways Formation du « trou d’air ». Au moment où l’État apporte une aide importante à Air France et engage un plan de relance de 50 milliards, ces 1,5 million par région apparaissent bien modestes pour sauver une école à la réputation connue et les élèves qui ont investi pour atteindre leur rêve.
Comment en est-on arrivé là ? De manière assez classique, c’est un ensemble de causes qui expliquent cette situation. Il y a à la fois une illusion d’optique sur les résultats attendus associée à des dépenses d’une équipe de dirigeants payés, bien au-delà des normes habituelles, des sorties d’argent qui ont fini par excéder largement les ressources de l’entreprise. On peut citer pêle-mêle des déplacements en jet, l’usage à titre personnel des moyens aériens de l’entreprise, des voyages dont la thématique n’était pas réellement alignée avec les enjeux et les problématiques d’une formation de pilote, des voitures de fonction de type Tesla, etc.
Cette mise en liquidation sans reprise risquerait, bien sûr, de jeter un réel discrédit sur le secteur de la formation aéronautique française qui n’en a évidemment pas besoin… Pour le moment, l’affaire Airways n’en est qu’au début, puisque la liquidation est assortie d’une enquête de police. Aujourd’hui, une association s’est créée pour tenter de venir en aide aux élèves qui sont sur la grève. Comment ? On ne sait pas encore exactement de quelle manière. Elle a publié un communiqué : elle veut mobiliser la communauté aéronautique pour soutenir les élèves sur le plan juridique et pratique. Idéalement, tout le monde aimerait qu’un grand mécène (de préférence très riche) ait envie d’aider ces jeunes apprentis pilotes. Toutefois, ne rêvons pas. La suite de l’enquête et de l’affaire permettra peut-être de comprendre pourquoi toutes ces failles sont passées au travers de la raquette administrative de la DGAC.
En pratique, elle a délégation de la part de l’EASA pour vérifier que l’organisme de formation a bien mis en place les outils pour assurer le bon déroulement de la formation. Elle doit également s’assurer que l’organisme a les moyens financiers d’assurer ces formations. Reste donc à savoir quels documents l’équipe d’Airways Formation a présentés pour ne pas être inquiétée par l’Autorité de tutelle. Néanmoins, les inspecteurs de la DGAC étaient au courant de dysfonctionnements au sein de l’école puisque plusieurs procédures avaient été invalidées.
D’autre part, les comptes n’étaient pas publiés depuis plusieurs années (l’amende n’est que de 15 euros) et cette situation aurait dû, selon ce spécialiste, provoquer un dépôt de bilan. Enfin, peut-être que tout le monde n’a pas envie de voir Airways Formation remise sur pied, voilà pourquoi l’actif de l’entreprise doit être sauvegardé. Espérons que le Tribunal de commerce en soit, lui aussi, convaincu.