Le 6 mai dernier, pour la première fois de ma vie, je suis revenu de vol avec du vague à l’âme. Lorsqu’Emmanuel Davidson, depuis son bagne de l’Île de Ré, m’a interrogé sur cet aller-retour vers Tarbes en avion fusée – il parlait du JetProp DLX que nous avions affrété, faute de pouvoir disposer de notre avion bloqué à Pau du fait du Coronavirus – je suis resté silencieux, avant de lui répondre que je n’avais pas pris de plaisir à voler dans un ciel vide. En fait, ce n’est pas exact, nous avions entendu deux French Air Force, et un Lufthansa qui demandait sur la fréquence de Paris Contrôle si on avait signalé des turbulences aux niveaux inférieurs : « Eh bien non, vous êtes tout seul là-haut, vous pouvez choisir n’importe quel niveau ! »
Nous avons ramené de cette journée chez Daher bien plus d’inquiétudes que de bonnes nouvelles, la seule, en fait, étant la certification du système HomeSafe qui permet au TBM de revenir se poser sur un aérodrome sans pilote, par ses propres moyens électroniques.
Autant appeler un chat un chat, Nicolas Chabbert, directeur de la division avions de Daher qui emploie 1 800 personnes, dont 95 % étaient en chômage partiel ce jour-là, a dénoncé l’incohérence de ceux qui gèrent la crise COVID-19 : « L’Autorité doit bien considérer que ce qui lui paraît une petite décision annexe peut avoir des conséquences sur l’ensemble de la chaîne aéronautique. Il y a visiblement un manque de cohérence, il est important que l’on revienne à un retour à une activité normale puisque l’aviation ne fait pas appel à un large public. »
Nicolas Chabbert n’est pas le premier à dénoncer la légèreté de certains de nos dirigeants, tant s’en faut, « nous sommes des objets de l’incohérence générale, nous sommes des morceaux d’une grande construction dont il faut plus de temps, plus de silence et plus de recul pour découvrir l’assemblage, » écrivait Saint-Ex en 1942. Visiblement, le message n’est toujours pas passé.
Certes, la période est complexe, mais si certaines des décisions de la cellule de crise COVID-19 amusaient quand elle imposait le footing dans les rues et qu’elle l’interdisait dans les parcs et sur les bords de mer, elle était juste déraisonnable quand elle a interdit toute forme d’aviation, à l’exclusion des activités militaires et de transport aérien. Alors même que le reste de l’Europe, sauf exception luxembourgeoise, ne le faisait pas.
Pourquoi risquer de provoquer des dépôts de bilan dans l’industrie aéronautique ? Au nom de la santé ou plutôt de la paix sociale, comme si les Français étaient incapables de comprendre que des avions privés puissent, sans risque pour la santé publique, continuer de faire tourner l’économie autant que possible ?
Pourtant, il lui a été dit qu’aux USA, on laissait voler les avions à plein régime car c’était le moyen de déplacement le plus sûr qui soit en période de pandémie ; que, dans d’autres pays, on les avait autorisés à voler a minima, car c’était la seule décision cohérente avec les recommandations des constructeurs de moteurs qui stipulaient au minimum un vol d’une heure tous les deux mois, et chaque semaine pour un avion à turbine, sous peine de corrosion interne et donc de dégâts coûteux. Elle a appris qu’ailleurs, on avait aussi laissé voler les pilotes car c‘était cohérent avec l’obligation de conserver une expérience récente pour emmener des passagers et, bien sûr, celle de rester entraîné pour piloter en sécurité des avions.
Les résultats de cette décision française ne se sont pas fait attendre : d’abord, les ateliers d’entretien ont mis pour la plupart leurs mécaniciens en chômage partiel, faute de clients capables d’amener leurs aéronefs à l’atelier. Ensuite, lors d’inspections calendaires, des avions ont été arrêtés du fait de la corrosion interne de leur moteur, car la mauvaise météo d’avant Covid n’avait pas permis de les utiliser depuis trois ou quatre mois. Enfin, il est probable que, faute de visites calendaires programmées, des avions vont reprendre l’air sans être contrôlés et que la sécurité des vols va en être impactée à terme.
Il est vraiment ahurissant que, au sein de cette fameuse cellule interministérielle de crise, seuls les ministères de la Santé et l’Intérieur aient donné le ton, à partir de critères non validés par les experts qui, pourtant, l’entouraient. Je pense bien sûr à la DGAC, attentive aux suggestions de tous, mais qui n’a tout simplement pas été entendue, pas même écoutée, Mais quelle idée de lui avoir coupé les ailes en chargeant un ministère de la Transition écologique et du Développement durable de s’occuper aussi de transports aériens ! Autant faire garder les agneaux par les loups !
Jacques CALLIES