Lundi 27 avril 2020, 42e jour après le début de la catastrophe. Ironie du sort, il fait si beau depuis que la bombe virale a explosé et nous contraint à vivre comme des moines contemplatifs. Je suis seul dans le silence spectral de mon bureau de Lognes, je contemple l’écran de mon ordinateur où est sagement alignée la vingtaine de participants à cette réunion matinale, sans poignée de main, sans chaleur, sans café, sans anecdotes amusantes… Des individus, aux visages composés, échangent sur l’avenir de l’aéronautique civile. J’ai du mal à me focaliser sur « l’impact environnemental de la faillite de compagnies aériennes du fait de la probable saturation du marché en avions de ligne insuffisamment verts » quand le ronronnement d’un moteur se fait entendre et, soudain, un Cirrus blanc et bleu prend bruyamment son envol vers le ciel, tel le gracile perce-neige capable de traverser un sol enneigé. Serait-ce le signal du retour des beaux jours ?
Bon, rassurez-vous, c’est une blague, je n’ai pas commencé un journal intime sur mon confinement COVID-19 personnel, mais je vous pose quand même une question : que faire d’autre que d’écrire quand tout le reste est interdit ?
Mais lire, allez-vous me répondre !
C’est vrai, c’est tellement évident. Et c’est pourquoi je vous remercie chaleureusement, fidèles Amis, d’avoir lu Aviation et Pilote depuis vos ordinateurs et vos tablettes numériques, de nous soutenir ainsi dans cette aventure singulière. Je le sais, pour beaucoup, c’est un gigantesque effort, et c’est donc une preuve d’affection dont nous apprécions la valeur, car, nous aussi, nous aimons le papier, son odeur, son poids, son toucher, le bruit soyeux des pages qui se tournent.
Mais que faire d’autre après cette attaque virale, accentuée par la crise de Presstalis et le blocage de centres de distribution, que d’axer nos efforts sur une édition numérique via notre distributeur Pocketmags Europe, de passer rapidement un accord avec ePresse Kiosque Numérique pour ceux d’entre vous que l’anglais rebute ? Car les kiosques à journaux sont majoritairement fermés et tout déplacement pour raison « non vitale » est interdit du fait du risque de contagion, et donc de mort par COVID-19…
Comme vous tous, nous avons vécu le mois dernier un moment de sidération complète. Pendant quelques jours, le temps d’analyser et de comprendre que, même si nous allions être confinés longtemps, nous devions continuer à vous faire voler, de porter le flambeau, d’entretenir la flamme. Une mission encouragée par nos annonceurs malgré les cunimbs, la visibilité réduite et le givrage sévère qu’ils rencontrent sur leur route actuellement et que nous remercions donc vivement au passage.
À quelque chose malheur est bon, nous avons retrouvé partout ce besoin d’échanger sur la crise et d’imaginer la reprise, de construire l’avenir de l’aviation générale. Nous avons du temps à revendre pour participer à des vidéoconférences avec notre Administration, avec les AOPA européennes, avec les syndicats, avec la représentation parlementaire, au point que notre vie est tellement occupée que le seul repère qu’il nous reste est finalement l’alternance immuable du jour et de la nuit.
Un mois s’est écoulé, nous avons progressé sur de nombreux sujets comme vous le lirez plus loin ou plus tard. Je crois, par exemple, que l’aviation d’affaires va retrouver la place qu’elle avait autrefois, car elle sera une alternative sûre aux autres moyens de transport. Alors que nous défendions ce point de vue, Jean-Pierre Trimaille et moi, lors de la vidéoconférence hebdomadaire du GIPAG, un souvenir imprécis me trottait dans la tête. Je me suis donc plongé dans nos archives poussiéreuses jusqu’à ce que je retrouve un communiqué de presse jauni par le temps : « Fly Cessna, the World’s Number One Business Airline ! ». La photo accompagnant le document montrait l’étendue de la gamme Cessna, du petit Cessna 150 jusqu’au Cessna Citation, en passant par les nombreux bimoteurs à pistons ou à turbine produits à l’époque. Tel était le slogan du constructeur américain dans les années 1980 : les aéroports étaient alors désorganisés, les bagages se perdaient régulièrement, le prix d’un billet d’avion était élevé, l’aviation d’affaires était la solution pragmatique et intelligente.
Greta n’a pas eu le temps de mener à terme sa croisade, le COVID l’a fait à sa place : non seulement le transport aérien bon marché est remis en question, mais, en plus, il se fera dans des conditions sanitaires insupportables, même quand ce fichu virus aura disparu.
Le drame qui se joue offre une opportunité à notre aviation, impensable il y a trois mois à peine : à nous de la saisir, bientôt !
Jacques CALLIES