Certains passionnés de la chose aéronautique que nous côtoyons depuis des années forcent notre admiration tellement leur engagement est total, voire jusqu’au-boutiste ! Je me sens petit, frileux, décalé car je m’efforce à une aviation raisonnable alors que ces gars-là sont prêts à mettre en jeu leur licence, leur métier, et donc leur confort, pour quelques instants de bonheur et de grands frissons.
En m’approchant de mon clavier pour vous entretenir du cas de Philippe Michel, un oublié de la République française – un pilote d’Air France condamné récemment à 6 ans et 8 mois de prison ferme à la suite de la collision entre son Mousquetaire à l’atterrissage et un hélicoptère au décollage sur le glacier italien du Ruitor l’année dernière – l’un de ses collègues, pilote à Air France lui aussi, m’est revenu à l’esprit : il s’agit de Patrick Fourtick, décédé des suites d’un cancer, un merveilleux fou volant qui faisait la paire avec Henri Pescarolo, le célèbre pilote auto, avion et hélico, pour des aventures aériennes majuscules.
Tôt un dimanche matin, alors qu’il venait snifer un peu d’aviation légère à Meaux-Esbly, Fourticq était tombé en arrêt devant un Fouga Magister qu’on s’apprêtait à benner parce qu’il occupait depuis trop d’années une place enviée dans un hangar. Après une rapide enquête technique, ce CdB B747 n’avait pu résister à l’appel désespéré que lui adressait le petit biréacteur, une folie car l’avion était toujours militarisé, en situation R, sans VHF, avec un carburant périmé dans les réservoirs, etc. Il s’était pourtant installé à bord, il avait mis en route les moteurs à tâtons, et comme tout était dans le vert, il avait effectué un roulage avant de s’offrir un tour de piste à la sauvette.
Malheureusement, le sifflement des réacteurs ne pouvait passer inaperçu, car un contrôleur était de faction à la tour, bien obligé d’additionner les infractions, de mémoire une douzaine au moins, et de signaler l’événement. Le dossier était arrivé à vitesse supersonique sur le bureau du directeur de l’Aviation civile, puis sur celui du ministre des Transports de l’époque, Michel Delebarre, qui l’avait classé verticalement. Heureusement pour Patrick, les esprits s’étaient calmés aussi vite qu’ils s’étaient échauffés.
Dans le cas de Philippe Michel, l’affaire est sans doute plus délicate car il y a eu collision et mort d’hommes sur ce glacier italien situé à moins d’un nautique de la frontière française. Une affaire rendue complexe par les habitudes prises de part et d’autre pour ces passages de frontière entre voisins. Cela a pourtant valu à Philippe Michel, seul survivant du crash, d’être traité comme un maffioso, sa chambre d’hôpital interdite d’accès par la police, dans une ambiance si effrayante que ceux qui l’ont approché n’ont pas tenté de revenir le voir, de peur de se retrouver placés arbitrairement en garde à vue. Puis Philippe Michel a été assigné à résidence à Aoste pendant pratiquement un an avant de se voir condamner.
Pour quelles raisons ? Pour être responsable de la collision ? Non, car les conclusions de l’enquête n’ont pas été rendues.
Alors, pourquoi est-il condamné aussi lourdement qu’un criminel qui aurait prémédité un homicide ? Pour avoir franchi la frontière sans avoir rempli de plan de vol, alors même qu’aucun lien de causalité n’a été établi ? C’est juste révoltant ! Tout le monde sait, aussi bien du côté français qu’italien, ceci depuis 40 ans au moins, que le fait de poser un plan de vol n’est qu’une formalité administrative, sans aucun impact sur la sécurité du tour de piste autour du Ruitor. Voir et éviter, telle est la règle qui est appliquée par tous.
En apprenant le traitement infligé au malheureux survivant de ce crash où deux de ses amis sont morts, je me suis senti coupable, moi aussi : que celui qui n’a pas effectué des posés au Ruitor sans FPL lui jette la première pierre ? Bon, il y en a eu pour le faire et il y en aura encore, le malheur des uns faisant le bonheur des autres.
J’avais joint Philippe Michel l’été dernier, en sa retraite forcée, pour savoir de quelle manière nous pourrions bien l’aider. Il revenait d’une séance de rééducation, il avait le moral et il m’avait dit de ne surtout rien tenter, qu’il avait accepté le principe d’une procédure simplifiée avec le procureur et que cela allait bien se passer !
Ce n’est hélas pas le cas, la peine est lourde (presque 7 ans de prison) alors que l’homicide involontaire n’est pas prouvé, que les investigations sont toujours en cours et que personne ne connaît encore les responsabilités réelles de chacun des deux pilotes.
Le verdict a été prononcé sur la base d’une enquête incomplète et donc d’un simple manquement administratif. La justice italienne est allée bien vite en besogne, ce qui n’est pas acceptable. Aussi, il nous semble temps d’en appeler pour lui à l’Autorité française.
Jacques CALLIES