L’Annus Horribilis, popularisé par la reine Elisabeth II en 1992, a marqué les mémoires. 2019 aurait pu être une année tout aussi horrible pour nous autres, pilotes, cette fois. Une année sombre, marquée par la tolérance zéro, les diktats et incohérences de la réglementation, les exploitants de drones qui convoitent nos espaces aériens, les accidents spectaculaires d’avions privés jetant un discrédit mondial immérité sur tous les pilotes, la fameuse miss Greta et son efficace « aviation bashing », notre Mélenchon, si Français, déplorant à la télé qu’on puisse encore voyager dans un avion piloté par des « vieux » et, pour couronner le tout, le mouvement de contestation contre la réforme des retraites de ces jours-ci. Mais mettons celui-ci à part car il est global et il a l’intérêt de rappeler au reste du monde que nous, Français, sommes différents et valons le détour !
Malgré tout cela, je persiste à rester optimiste grâce aux personnes que je rencontre quotidiennement et aux dossiers sur lesquels nous travaillons, même si la pesanteur administrative ou les intérêts politiques divergents rendent les tâches longues et difficiles. Optimiste car je croise des personnes qui y croient, tout simplement parce qu’elles savent que leur cause est juste, et qu’elles refusent la défaite.
Et puis, il y a le monde des hommes volants que j’aime et respecte plus que tout, si particulier, qui m’aide à voir le verre à moitié plein plutôt que l’inverse. Chaque rencontre, qu’elle soit individuelle au hasard d’un tarmac ou en groupe à l’occasion d’un bruyant dîner de pilotes fanatiques, résonne comme un petit miracle de bonne humeur et d’intelligence, avec son lot de projets et de perspectives joyeuses qui me ramènent sur terre et me rappellent que nous ne vivons pas en enfer, comme on pourrait finir par le croire.
La toute dernière réjouissance à laquelle j’ai participé était organisée à la cantine de l’UNESCO par le nouveau président d’Aviation sans frontières (ASF), le célèbre Gérard Feldzer. C’était un soir de manifestation et de grève des transports, ce qui fait qu’il nous a fallu marcher longtemps, mais cela en valait la peine. Tout d’abord, ce dîner a commencé par une salve d’applaudissements nourris : c’était Jean-Baptiste Djebbari qui faisait son entrée : « Je vous remercie pour votre accueil… Je n’ai plus l’habitude des applaudissements ! Et si je survis à la révolution en cours – je ne vais pas me laisser abattre –, sachez que je salue les pilotes volontaires, les bénévoles, les engagés de toute nature et que c’est un très beau projet qui nous réunit aujourd’hui. »
De quoi diable notre ministre – en principe, c’est bien le nôtre – parlait-il ?
Eh bien, de 40 événements que compte proposer le boulimique Feldzer pour fêter les 40 ans d’ASF en 2020 : un mondial de la simulation, un défilé de mode des uniformes des compagnies aériennes et aéroports, un salon aéropuces, une activité drones, des concerts, 40 oies derrière un ULM, la traversée de la Manche par 40 paramoteurs, un avion autour de la Méditerranée piloté par deux femmes pilotes, l’une israélienne et l’autre palestinienne, etc. Et, connaissant bien « l’animal » depuis le temps que je le pratique, je suis certain que Gérard restera ouvert à toutes les propositions que les uns et les autres pourront formuler.
Cette perspective est d’autant plus réjouissante qu’elle va rappeler à un large public combien les avions sont des outils respectables et, en l’occurrence, indispensables pour sauver des vies et alléger les souffrances. ASF est exemplaire en ce sens, elle est devenue au fil des ans une compagnie aérienne à part entière, avec 54 000 heures de vol cumulées, 90 000 passagers transportés, la plupart en zone de guerre ou de famine. Et quand les Cessna Caravan ne peuvent accomplir la mission, ce sont les Boeing d’Air France qui prennent le relais : ils ont ainsi transporté 13 000 enfants et leurs accompagnateurs bénévoles pour qu’ils soient opérés en France.
Alors, nous avons plus de raisons que jamais de croire en cette aviation générale, raisonnée et raisonnable. Le plus célèbre gourou des airs et des ondes nous a ouvert la voie et il ne reste plus qu’à lui emboîter le pas.
Une autre soirée qui a dopé mon enthousiasme s’est déroulée dans un petit restaurant du XVe. Juste un dîner entre pilotes de tous horizons, des plus expérimentés à ceux qui viennent de rejoindre notre confrérie, mais tous réunis dans un but : trouver une destination pour partager ensemble une aventure aéronautique qui sorte un peu des sentiers battus. Et cette aventure a commencé dès cette soirée. Car réunis par la même passion et les mêmes envies, nous avons commencé ce voyage autour de la table sans vraiment en connaître encore la destination finale. Et c’est sans doute cette fraternité et cette capacité à se rassembler pour vivre selon notre passion qui me poussent sans cesse en avant.
Excellente année 2020 sur terre et, surtout, dans les airs !
Jacques CALLIES
*Source FNAM