Vendredi dernier, à l’heure où 4 millions de Parisiens et Franciliens tentaient de rentrer chez eux dans de grandes difficultés, parce que les conducteurs de leurs métros et RER défendaient leurs régimes de retraite spéciaux, j’étais chez moi en train de penser à mon prochain soliloque avec vous. Et je souhaitais qu’il soit heureux car le précédent ne l’avait pas été : souvenez-vous, j’y avais taclé la jeune Greta Thunberg.
Et voilà que je remets cela, en m’en prenant cette fois à un vieux comme moi, car, ce même soir, en zappant d’une chaîne d’info à l’autre, je suis tombé sur l’émission de Brunet-Neumann sur BFM TV. L’invité était Jean-Luc Mélenchon, et comme je l’espérais, celui-ci a été captivant, mais il a tout gâché, de mon point de vue, en déclarant à propos des régimes spéciaux et de l’âge du départ à la retraite : « Je rêve de 60 ans pour tout le monde et de 40 annuités, mais je trouve normal que, dans certains métiers, on parte avant. Vous allez faire travailler des gens jusqu’à 65, 66 ans ? Vous montez dans l’avion où il y a un pilote qui a 66 ans, Brunet ? Ça vous va comme idée ? Ouais, vous êtes comme moi, vous montez dans le suivant ! » L’éditorialiste n’a pas relevé, il n’avait rien à dire sur le sujet.
Il se trouve que j’accompagnais, quelques jours avant, Jean-Michel Bossuet à Agen pour qu’il puisse y rencontrer Jérôme Binachon, le nouveau patron d’Airways, plus connu pour l’heure comme le pilote qui a quitté autrefois Air France pour fonder la société de simulateurs Alsim. Je ne voulais pas manquer leur rencontre car elle avait été maintes fois reportée, cet agitateur d’idées patenté qu’est Jérôme n’est jamais là où on le croit. Je ne veux pas déflorer ici l’article de notre Tintin à nous, mais, une fois encore, j’ai été surpris par la pertinence du propos de notre hôte, même quand il est arrosé d’un Bordeaux de bonne facture, et tard dans la nuit.
Après que nous ayons longuement parlé de la formation des pilotes aujourd’hui, du métier de la ligne et des nouveaux concepts qu’il souhaitait mettre en avant chez Airways alors qu’ils me semblent aller à l’encontre de ses intérêts, Jérôme m’a posé une question à laquelle j’aurais été incapable de répondre, même l’esprit clair : « Sais-tu combien vaut réellement un pilote de ligne quand tout fonctionne à bord de son Airbus ? Pas plus que le SMIC. Et sais-tu pourquoi on le paye dix ou quinze fois plus que le SMIC ? Pour qu’il sauve l’Airbus et ses centaines de passagers si l’avion merde, alors que la chance que cela arrive est infinitésimale. La vraie question est donc : en serait-il capable aujourd’hui ? En cette période de tension sur le marché de l’emploi, forme-t-on suffisamment longtemps et bien les pilotes ? »
Je ne saurais en juger, mais on m’a rapporté que les pilotes ENAC d’aujourd’hui sortent effectivement de notre célèbre école nationale, grande pourvoyeuse de copilotes pour Air France depuis toujours, avec trois fois moins d’expérience qu’autrefois. Et que ce serait le cas presque partout, même au Canada, où il était impensable jusqu’à récemment de piloter un gros-porteur sans avoir gravi tous les échelons, depuis l’instruction sur monomoteur jusqu’au commuter régional, en passant par l’avion de brousse, ce qui prenait des milliers d’heures de vol et parfois dix ans.
Ce dont je suis sûr, par contre, et cela devrait rassurer les passagers anxieux comme Mélenchon, c’est que le métier de pilote s’apprend sur la durée et par le compagnonnage, en partageant un cockpit avec un aîné, sans être forcément totalement efficace. J’ai eu cette chance lors de mes premières transatlantiques alors que, jeune homme, je n’étais pas encore IFR. J’ai appris peu à peu à gérer la nuit, les orages, le givre, la foudre et les pannes auprès de pilotes confirmés, de mes frères aînés dont c’était le métier, tels les Boyé, Chauzit, Dessart, Lacam, Sochor, Taylor, Weir et d’autres auxquels je voue, aujourd’hui encore, une reconnaissance sincère et dont les conseils me servent toujours.
Et ce sera ainsi de génération en génération, comme me l’a rappelé Emmanuel Davidson, que je considère comme particulièrement doué aux commandes d’un avion, et qui m’a rappelé m’avoir, autrefois, suivi dans mes vols, sans trop savoir pourquoi il était à mes côtés puisqu’il était encore VFR, et pas forcément qualifié sur la machine. Mais que, tout comme pour moi, cela avait été essentiel pour sa vie de pilote.
Monsieur Mélenchon, ne jetez pas donc le vieux pilote car il est indispensable au jeune pilote qui se retrouve trop tôt assis à ses côtés, c’est lui qui va lui apprendre la vraie vie. Vous qui n’êtes pas encore retraité à 68 ans et qui ne semblez pas pressé de l’être, devinez à quoi rêvent régulièrement la plupart des retraités de la ligne à 80 ans ? Qu’ils pilotent encore un Airbus ou un Boeing, bien sûr.
Jacques CALLIES