Par Jacques Callies, © photographies de l’auteur, Morten
Lorsque les relations diplomatiques entre les gouvernements américain et iranien se sont améliorées au début 2016, Milos Krivokapic et moi avons aussitôt rêvé d’un nouveau raid à partager avec nos lecteurs qui les emmènerait vers des lieux aussi mythiques qu’Ispahan, Chiraz, Persépolis, Tabriz… Est née alors une ébauche de « Cap sur Téhéran », annoncée dans nos colonnes, dont nous avons assez tôt mesuré les difficultés techniques et politiques mais à cœur vaillant rien d’impossible, d’autant que des lecteurs ont immédiatement mordu à l’hameçon, une vingtaine d’équipages a manifesté son envie de participer à ce nouveau « Cap ». Il n’y avait là rien de surprenant car les contingences d’un vol en escadrille – que les pilotes, individualistes par essence, détestent – sont supportables si la destination choisie est formidable. C’était le cas une fois encore. Seul l’attaché d’ambassade de la République islamique d’Iran à Paris a montré quelque étonnement lorsqu’il nous a reçu dans son hôtel particulier de l’avenue d’Iéna : « Mais… Air France fait très bien le travail ! »
Après nous avoir aussi gentiment reproché d’avoir mis la charrue avant les bœufs, expliqué un contexte géopolitique compliqué et la méconnaissance de la population en matière d’aviation privée, il n’a formulé que quelques exigences acceptables. Personnellement, je n’en avais qu’une : le soutien officiel de la présidence iranienne car nous avions trop souffert d’une administration locale lors de notre « Cap sur Moscou ». Sans la protection du président Vladimir Poutine, assurée avant notre départ par Gérard David de Dassault Aviation, bon nombre d’entre nous seraient restés bloqués à Joukovski, aérodrome militaire à l’époque, tellement nous avions dû harceler les fonctionnaires locaux. C’est pourquoi, lorsque Milos m’a annoncé, six mois avant notre envol, avoir besoin au plus vite des identités des participants, des horaires de décollage et d’atterrissage, des routes, et d’un tas d’informations aléatoires en aviation générale, j’ai pensé qu’il fallait urgemment attendre que les planètes soient mieux alignées.
J’ai alors changé mon fusil d’épaule et décidé de participer cette année à un vol projeté par deux amis, Patrick Motte et Régis Saleur, qui souhaitaient se rendre au Svalbard dont l’aérodrome de Longyear se situe par 78° nord, à 12° du pôle (à 720 nautiques). Un lieu excitant car, comme Eureka au Nunavut, c’est une base de départ pour partir survoler le mythique pôle…
Mais, même sans cet objectif ultime, cette perspective est attirante et, si la Norvège et ses ours blancs du Svalbard ne sauraient être comparés à la Perse et sa culture millénaire, l’essentiel est de s’envoler.
Le premier obstacle à lever était évidemment de trouver un partenaire. François Burgaud, que j’accompagne de temps à autre sur son Mooney, m’a dit oui. Ce pilote est libre comme l’air, sauf quand il saute en parachute quelque part dans le monde. Il est d’une compagnie agréable, il raconte à table des histoires très drôles et, plus important, en vol, il accepte mes suggestions avec grâce. En plus, mon planning serré lui convenait : départ le vendredi matin de Toussus vers Tromso, au nord de la Norvège, le samedi matin pour Longyearbyen et retour le lundi pour être à Toussus le mardi soir ; le rendez-vous avec Patrick et Régis, qui souhaitaient prendre leur temps, étant prévu à Tromso.
François photographié à Tromso. D’un caractère heureux, cet homme est toujours prêt à tenter toutes les aventures.
Le second obstacle était le carburant, la 100LL étant à commander à l’avance à Avinor afin de la faire livrer par bateau au Spitzberg. Patrick s’en était chargé : il avait besoin 220 litres, nous de 180 litres, soit deux barils, ce qui était parfait puisque le carburant en trop est considéré comme pollué, sans valeur, mais pas pour tout le monde…
Le dernier obstacle était d’obtenir l’autorisation d’atterrir au Svalbard, un secteur écologiquement sensible. Glenn McKenzie, le responsable à la CAA norvégienne me retournera par retour de mail une autorisation d’atterrir à Longyear qui, toutefois, interdisait tout vol local. Il faut souhaiter que cela ne change pas. Si jamais c’est un jour le cas, il faudra sans doute enquêter du côté de Ségolène Royal, nouvelle ambassadrice pour les pôles en remplacement de Michel Rocard qui avait aidé Milos à obtenir l’autorisation d’y débarquer en flottille en 2011.
Mercredi : on prépare les avions
Les planètes sont alignées, on est prêt. Le mercredi précédant le départ, nous nous retrouvons à Toussus pour vérifier les équipements, préparer les avions, mettre à jour les databases du G1000 car l’avion sort de sa visite annuelle. Côté matériel, nous sommes parfaitement équipés pour les raids en tous genres (lire encadré) mais, une fois encore, la solidarité entre pilotes s’avère nécessaire : Patrick se propose d’acheter pour moi des fusées de détresse car les nôtres sont périmées et Régis nous prête un jerrican de TKS, ce liquide qui sert à dégivrer les ailes des avions, le vendeur local étant en rupture de stock.
J’ai fait une simulation de vol Toussus – Tromso avec RocketRoute, le bureau de piste personnel qui marche partout à condition d’avoir de la Wi-Fi ou de la 4G. 1386 nautiques avec 102 USG, c’est chaud mais cela passera avec des vents favorables et des conditions permettant de finir en VFR. Même si j’ai déjà fait avec le même avion un Reykjavik – Toussus (1270 Nm) en 07h20 de vol, avec un très léger vent portant, et 22 USG dans les réservoirs à l’arrivée, François n’y croit pas trop mais il est prêt à tenter le pari.
La veille du départ, je passe donc un plan de vol de Toussus (LFPN) à Tromso (ENTC), avec Trondheim (ENVA) et Orland (ENOL) en dégagements puisque toute la Norvège est CAVOK. Mon log de navigation fait 4 pages du fait de 52 waypoints sur une route pourtant directe. Nous allons passer 37 minutes avec les contrôleurs français, 15 avec les Belges, 1 heure avec les Néerlandais, 34 minutes avec les Allemands, 1h12 avec les Danois et 4h19 avec les Norvégiens. 08h08 de vol, ce n’est pas gagné, j’espère simplement que la prévision des vents est fausse !
L’écran Multifonctions (MFD) du N77GJ nous laisse espérer un moment qu’il sera possible d’effectuer un vol sans escale pour Tromso.
Vendredi : nous n’avons pas de chance
À 7 heures du matin, je réactualise mon dossier de vol : rien de compliqué, une probabilité de givrage entre le FL80 et le FL210 jusqu’à la Norvège – mais RocketRoute est toujours extrêmement pessimiste côté givrage, un peu à la façon des Russes qui ajoutent toujours un ISOL CB dans leur TAF, au cas où – puis du beau temps jusqu’à l’arrivée. Notre temps de vol s’est cependant rallongé de 5 minutes : mauvais présage ? À voir, la route est longue…
François est à l’heure à notre hangar, relax comme à son habitude. Il me dit au pied de l’avion : « Jacques, avant que tu ne m’engueules, sache que je suis sincèrement heureux de partir avec toi ! » Je ris de bon cœur. Il volera en place gauche, il aime cette place, et cela me va.
À 10 h 40, 08 h 40 UTC, après avoir pris vraiment tout notre temps, nous décollons face à l’ouest. Nous sommes en retard de 40 minutes sur notre timing pourtant serré mais, après tout, pourquoi ne pas profiter de l’un des privilèges de l’aviation privée, à savoir décoller quand on le veut ?
En IFR, il faut savoir qu’on passe une bonne partie de son temps à changer de fréquence. Une fois dans la couche sur une trajectoire standard de départ, Toussus nous transfert donc à Villacoublay qui nous transfert à de Gaulle. Mais voilà, premier problème, il m’est impossible d’afficher la fréquence 133.380. Je découvre alors que la réinitialisation du G1000, faite pendant la visite annuelle, a non seulement fait disparaître un grand nombre de préférences, mais qu’elle a supprimé l’option 8,33 kHz. Cela commence bien… Je fais défiler les pages du MFD, sans résultat, je suis alors contraint de vite demander au contrôleur de Villa une fréquence 25 kHz, ce qui me fait passer pour l’amateur de service mais, c’est connu, le ridicule ne tue pas. Je pense ensuite à inspecter le PFD et j’y découvre une touche qui permet de basculer les VHF de 25 à 8.33 kHz en un coup de doigt.
Présence de givre et de vent de face.
A droite : escale imprévue à Sandefjord Torp, tout au sud de la Norvège, un terrain très bien équipé, à n’utiliser qu’en cas d’obligation absolue car rien n’a été prévu pour accueillir dignement les visiteurs.
À 09 h 10, nous sommes avec Lille Information. Il fait presque beau. Nous volons on top au FL100 à 55 % de la puissance, avec le moteur réglé 50° du côté pauvre du peak EGT. Le fuel flow affiche 10,3 USG, la vitesse est de 158 KTAS mais, grâce au vent, nous filons à 175 kt de vitesse sol. Allons-nous réussir notre pari ? Le MFD prévoit une arrivée à 16 h 49 UTC avec 45 minutes de carburant dans les ailes : ce n’est pas assez mais la partie ne fait que commencer. 20 minutes plus tard, nous passons avec Bruxelles. Le vol se complique comme nous entrons dans une couche givrante : « J’envoie du TKS ? » demande François. Heu… Non, nous pourrions le regretter plus tard car il n’y a jamais de TKS disponible aux escales. Il vaut mieux attendre, quitte à changer de niveau. Nous ne perdons que 4 kt, qui seront repris une fois au soleil. Le secteur de contrôle bruxellois suivant met nos nerfs à rude épreuve. Alors que nous volions tranquillement sur une route 025° sur l’airway N873, nous entamons une demi-heure de variation de cap : 035°, 050°, 060°… Le contrôleur est inflexible, il veut nous écarter des arrivées de Rotterdam et d’Amsterdam. Pourquoi alors le système de gestion des plans de vol d’Eurocontrol nous a-t-il proposé une route qui survole ces aéroports ?
À 10 h 20, nous sommes autorisés à remettre le cap sur BEDUM, le point de sortie de la FIR néerlandaise mais j’ai perdu tout espoir de rejoindre Tromso sans escale car notre ETA est passée à 17 h 14. À moins d’un miracle ? Non, c’est l’inverse qui se produit, bien sûr, comme toujours : alors que nous pénétrons dans la couche en attaquant le survol de la mer du Nord, contrôlé par Brême, le givre s’attaque à nouveau à nos plans, la vitesse tombe et la composante de vent de face se renforce progressivement jusqu’à 30 kt, ce qui fait finalement passer notre ETA Tromso à 19 h 00. Le record est fichu ! Nous décidons alors de nous offrir une pause à Sandefjord Torp, l’aérodrome secondaire à 30 nautiques d’Oslo, que nous devrons survoler en pénétrant en Norvège.
À 12 h 20, comme nous sommes sur la fréquence danoise d’Arnborg Approach dans un silence propice aux « Request ! », j’en profite pour demander au contrôleur de vérifier s’il y a de la 100LL à Sandefjord Torp. C’est le cas, nous l’informons alors de notre intention de nous y dérouter, et François fait un kiss à Torp une heure plus tard.
Sandefjord Torp, la mauvaise pioche
Que dire de nos premiers pas en Norvège ? Très décevants ! Torp est désert, verrouillé, nous sommes comme des prisonniers derrière des grillages, il n’y a ni bureau de piste, ni salle de repos, ni même de toilettes, mais un distributeur automatique de carburant dont le lecteur de carte de crédit est buggé ! Nous sommes au milieu de nulle part, obligés de patienter au soleil après avoir laissé un message sur un répondeur, avec l’espoir d’un dépannage rapide. Pendant que François veille près des pompes, je marche vers un hangar, il est désert, je gueule, une jeune femme en uniforme montre le bout de son nez, je lui demande comment faire pour acquitter ma taxe d’atterrissage, elle me répond de ne pas m’en faire et disparaît. Je suis au moins rassuré, nous n’avons pas changé de dimension !
En finale sur Tromso Langnes à 22 heures. Le soleil éclaire toujours le sommet des montagnes.
À 15 h 55, soit presque 18 heures locale, nous reprenons l’air. Il est très tard car nous avons perdu un temps fou : d’abord avec le ravitaillement, puis avec notre plan de vol car RocketRoute s’est obstiné à nous « voir » toujours en vol vers Tromso. J’ai donc dû me servir de mon téléphone, sauf qu’à l’ancienne mode, le traitement d’un FPL prend vraiment beaucoup de temps.
Le soleil brille, le paysage fait de lacs et forêts est reposant. À la demande du contrôleur, nous contournons Oslo par l’est. Bof, on n’est plus à cela près. En fait je crois que cette escale est l’une des pires que j’ai vécue, avec celle du Caire il y a quelques années : seuls l’Avgas à 13 USD le litre et le claquement des armes qu’on armait manquaient…
Les heures passent, bien occupées à discuter et à enfin admirer des paysages à couper le souffle. Après les lacs et les forêts, les fjords et les montagnes enneigés se succèdent. Côté radio, il n’y a rien à faire, à part annoncer notre arrivée sur les fréquences successives. Les contrôleurs sont du genre minimaliste : « Hello N77GJ, roger ! » Côté pilotage, François n’a rien à faire non plus, sauf à changer régulièrement de réservoir. La navigation est simple : une directe EVD, notre destination.
Comme le réseau mobile est excellent au FL100 du fait de relais placés en haut des montagnes, nous appelons Patrick et Régis qui nous confirment être arrivés au Radisson Blue de Tromso, être affamés mais de mauvaise humeur car il n’y a plus d’Avgas là-bas depuis trois ans ! Du calme, les amis, je vais appeler Milos, le débrouillard de service, afin qu’il nous négocie un plan B pour demain matin.
À 19 h 33, nous survolons Narvik. François est enthousiaste. En survolant ce port entouré de montagnes, avec son accès direct à la mer de Norvège, cet homme cultivé me raconte les combats navals et terrestres terribles qui ont eu lieu entre les forces alliées et les Allemands au début de la dernière guerre. Comme il est déjà très tard, nous imaginons un instant nous y poser puisque Régis et Patrick semblent bien décidés à dîner sans nous attendre mais ce serait perdre nos chambres payées d’avance.
Finalement, après une approche à vue, en pleine lumière car le soleil refuse de se coucher l’été en Norvège, François pose délicatement les roues du Mooney à Tromso à 20 h 12 UTC, soit 22 h 12 locales. Une navette patiente au parking, l’accueil est chaleureux, personne ne contrôle nos identités et un taxi nous embarque aussitôt pour le Radisson. Puis, après quelques pas un peu chaloupés sur le port, nous retrouvons nos amis dans un restaurant pour le premier et très symbolique Gin ‘Tonic des vacances !
Entraide entre pilotes : François aide Patrick et Jacques l’aidera…
Ravitaillement à Bardufoss
Le lendemain, retour au terrain bien après 9 heures. Curieusement, aucun de mes amis ne semble vraiment pressé. L’accueil à l’aéroport est comme on les aime, confiant et aimable : entrée sans passer par le portique de détection, aucun contrôle d’identité ni de licence, les employés de l’aéroport nous attendaient et ils sont physionomistes. Si nous sommes détendus nous aussi, c’est parce que Milos nous a trouvé dans la nuit la meilleure escale pour ravitailler : Bardufoss, à 30 nautiques au sud de Tromso, un simple saut de puce pour nos avions rapides. Ce grand aérodrome enchâssé dans les montagnes, avec son approche ILS qui débute à 6 200 ft, est plutôt sensationnel. Il est géré conjointement par Avinor et la Royal Norwegian Air Force. Le binôme fonctionne parfaitement : une fois aux avions, prêts à décoller, nous obtenons immédiatement par téléphone notre autorisation d’atterrir d’un auxiliaire militaire.
Le plafond étant suffisamment élevé, nous décidons d’y aller en VFR. Pendant que François s’occupe de l’avion, je prépare la navigation. Puis nous décollons en 01, virons immédiatement à gauche pour filer plein sud vers notre destination à 15 minutes de vol, en flirtant avec l’eau, puis les sommets, mais en faisant bien attention à ne pas pénétrer dans la zone réglementée EN-D406, interdite du sol au FL360. Mais il n’y a pratiquement aucun risque d’intrusion car, aussitôt après le décollage, comme nous passons avec le contrôle militaire, celui-ci nous demande de rester à l’ouest du secteur en question : « Vous voyez la route à votre gauche ? Yes ? Restez à droite. » Sympa. L’aérodrome est déjà en vue, il faut sortir les aérofreins, casser la vitesse en sortant le train, enrouler les installations et atterrir en 10. Au fait… Où est passé le Cirrus, n’avons-nous pas décollé cinq minutes après lui ? « Life is short, fly fast ! », telle est la devise bien pensée du constructeur Mooney Aircraft. François et moi décidons de ne pas trop taquiner nos amis car nous allons avoir besoin de la carte BP de Patrick pour ravitailler, le seul moyen de paiement accepté à Bardufoss !
En route pour l’archipel du Svalbard
Comme toujours lorsqu’il s’agit de survoler l’océan, le plus compliqué est d’enfiler sa combinaison de survie. Le reste n’est que routine, je suis toujours confiant. Autrement, pourquoi se forcer ? François l’est aussi, d’autant que la météo est quasi parfaite, ce qui nous dispense de calculer un point de non-retour (PNR) : pratiquement aucun givrage en route, un peu de vent portant tout du long, une belle visibilité et des nuages épars à 3 000 ft à l’arrivée. Le TAF prévoit en plus quelques nuages à 1 000 ft. Temps de vol prévu : 3 h 12 pour 554 nautiques.
Le Cirrus a décollé, il disparaît dans les nuages mais nous allons vite nous retrouver sur la fréquence 123.45 pour partager des informations régulièrement pendant les 3 heures du voyage.
À 10 h 48 UTC, nous sommes en l’air et prenons pratiquement un cap direct vers Longyear. Une fois autorisés vers le FL100, nous passons sous le contrôle de Bodø Oceanic sur 127.725 qui nous demande un report de position sur KOMUX, le point de sortie de FIR, puis notre heure estimée d’arrivée à Longyear, 14 h 04. C’est tout, nous ne recevons pas de clearance océanique, mais une consigne : « Traffic ahead, stay on this frequency. » Nos amis ne se sont pas perdus, nous voilà rassurés ! Après un petit moment passé en IMC, nous volons au-dessus d’une couche morcelée. Depuis le FL100, la mer semble idéale pour un amerrissage forcé : aucun mouton, pas la moindre ride et quelques cargos ici et là.
Jacques et Patrick devant le panneau « Partout au Svalbard ». Il s’agit bien d’ours polaires, redoutables carnassiers, il n’est donc pas question de s’y promener sans une arme sérieuse…
À 13 h 13, nous passons notre position à Bodø Oceanic qui souhaite vérifier notre espacement avec le Cirrus : N 75.46 E 016.50, avec une estimée Longyear qui se maintient à 14 h 04. En passant au travers de l’Île aux Ours, nous n’avons pu l’apercevoir car elle était masquée par la couche mais c’est sans regret car nous étions trop éloignés pour y saluer les seuls « ours » qui y résident au nord de l’Île, des employés d’une station météo. Par contre, l’Île peut faire un excellent refuge en cas d’ennui mécanique.
12 h 30 UTC : nous avons les pieds au sec comme disent les pilotes de l’US Air Force, ainsi que nous le montre la carte électronique du G1000. Comme pour le confirmer, au devant, étincelants, des sommets glacés émergent de la couche. Puis celle-ci se morcelle et le paysage se révèle dans sa totalité, d’une majesté inégalable. Le spectacle est panoramique, prodigieux, les montagnes sont d’un blanc immaculé, éblouissant. Rien à voir avec le blanc du Groenland, terriblement pollué en comparaison.
Nous nous préparons à plonger dans la crasse et les montagnes sur l’approche de non précision de l’aérodrome de Longyear.
On émerge des nuages, avec le terrain en vue sur la langue de terre, au bout à gauche
Percée aux instruments dans les montagnes
Toute la beauté du monde ne doit cependant pas nous faire oublier qu’il nous reste à reposer le pied sur notre bonne vieille planète une fois encore. D’autant plus que la couche se referme progressivement au fur et à mesure de notre progression. N’oublions pas que les montagnes sont partout.
Les éléments à l’arrivée sont les suivants : la piste 28 en service, un vent du 360 pour 8 kt, une visi sup à 10, quelques nuages à 3 000 ft, des nuages épars à 4 000 ft, une température de 6°, un point de rosée de 0° et 1016 au QNH. Nous choisissons l’approche LOC 28, une approche de non précision, avec un axe de descente décalé de 17° par rapport à l’axe de piste. La topographie des lieux exige un respect total des paramètres des axes de percée, d’autant plus qu’il n’y a aucun radar pour veiller sur vous. Nous apprendrons qu’un Tupolev 154 en provenance de Moscou s’est écrasé en 1996 sur la montagne à droite de l’axe d’approche, tuant ses 141 passagers. Ceci dit, nous, nous pilotons un avion moderne avec vision synthétique, cartographie d’approche intégrée au positionnement GPS et alerte de proximité du relief. Mais gardons toujours à l’esprit qu’un scenario catastrophe se déroule à toute vitesse quand on est en phase d’approche.
Le Cirrus est devant nous, autorisé à l’approche. Comme il semble prendre son temps, à raison, nous ralentissons à notre tour… Enfin nous entendons le Cirrus annoncer que la piste est libre : à nous de jouer ! La séquence approche chargée dans le plan de vol est vérifiée une nouvelle fois, la fréquence du LOC DME identifiée. François engage alors l’autopilote GFC700 en mode approche, l’avion est à la bonne altitude, 5 000 ft au QNH 1016. Alors que l’aiguille du localizer rentre, il nous reste encore deux minutes environ pour ralentir l’avion à 100 KIAS, ce qui donnera un taux de descente de 650 ft/min. Une fois à 12.8 DME, le train est envoyé, le mode vertical speed enclenché et la couche avale le Mooney. Voilà mon moment préféré car, même s’il n’y a pas besoin de piloter l’avion, il faut être dans le coup si l’on veut respecter le plan et la vitesse. Bien sûr, à deux, c’est facile, presque trop. Trois minutes plus tard, nous sortons des nuages, l’aérodrome de Longyear est en vue, parfaitement à sa place. Mission accomplie, dans les temps !