Si je n’avais pas reçu au réveil un SMS d’une nièce que je vois rarement, j’aurais sans doute vécu cette journée du 6 décembre 2017 avec bien moins d’acuité : « Bon voilà… Johnny est mort. Souvenir de mon premier concert… à Bercy. Grâce à toi, non ? Tu t’en souviens ? Une pensée émue. Bises, Claire. »
Évidemment, je m’en souvenais parfaitement même si 25 années me séparent de Bercy 92. Un tel concert ne s’oublie pas, d’autant que j’ai compris par la suite combien l’artiste était charismatique et simple en entendant Michel, le président d’Aerope à Pontoise, dont le chanteur louait les King Air, me raconter « son » Johnny passionnément !
Plus tard, Édouard et moi avons pris la route de l’aérodrome de Pau où Stéphane nous attentait près du Mooney pour nous confier son canot de sauvetage. Nous partions pour la Corse avec seulement des gilets, j’étais prêt à faire l’impasse car notre point milieu était à moins de 50 Nm des côtes mais on ne survit pas longtemps dans une eau à 14°, m’avait dit Stéphane : « C’est justement parce que vous allez emporter mon canot que vous n’allez pas avoir de panne moteur, les amis ! » C’était tellement raisonnable !
En vol, comme Édouard pilotait, j’ai été absorbé par mes mails jusqu’au moment où mon vieil ami m’a conseillé de lever les yeux. J’ai alors aperçu les Pyrénées enneigées, si proches. Et à notre gauche le Mont Aigoual, et devant, au loin, les Alpes, puis le trait de côte vers Montpellier, la Méditerranée bleu marine et déserte et enfin la Corse, enneigée elle aussi. Tout cela était si incroyablement beau !
À Calvi, l’accueil a été plus que cordial et j’ai donc osé interroger les Corses sur les Prior Permission Requests (PPR) systématiquement refusés à la belle saison aux Pinzuti alors même qu’il y avait toujours eu de la place sur les tarmacs. J’ai ainsi appris que les insulaires étaient traités de la même façon, ce qui laisse espérer une solution rapide aux exigences de stationnement extravagantes de l’aviation commerciale. C’était une si bonne nouvelle !
Puis je suis reparti seul, en traçant une route ensoleillée vers Paris. Comme je passais avec Nice, un contrôleur m’a demandé comment diable je m’étais débrouillé pour obtenir le FL100 avant de me demander aimablement mais fermement de grimper au FL150. C’était si chouette de voir le monde autrement !
Plus loin, vers Valence, la terre a disparu sous un océan de nuages lissés par l’anticyclone à 1 036 hPa. Une vision ahurissante en plein cœur de la France. En approchant du travers de Satolas, Lyon m’a demandé de grimper au FL160 : « Pas question ! Si je suis déjà si haut, c’est par la faute de Nice, je vais moins vite et je consomme de l’oxygène pour rien. » Amusé, le contrôleur m’a fait descendre illico. C’était si efficace de le faire rire !
Du côté de Clermont-Ferrand, j’ai présenté mes respects à Thierry, le contrôleur en chef, car il tient aux salutations de N77GJ. Comme il n’était pas là, je l’ai traité de « fainéant » et sa contrôleuse a eu l’air stupéfaite : « Pardon ? Mais, demain, c’est moi qui serai absente ! » Je me suis excusé. Une telle remarque était si déplacée sur une fréquence de contrôle !
Enfin, comme j’approchais de Bray tout en préparant laborieusement l’approche RNAV que j’allais exécuter pour la première fois à Melun, la couche de nuage s’est entrouverte et j’ai vu, tout au loin, l’aérodrome éclairé tel le phare qui guide le marin. Je me suis posé à vue et, alors que je dégageais la piste, le balisage s’est éteint et j’ai aperçu au loin dans le pinceau de mes phares Marc qui attendait dans le froid pour me guider à travers un tarmac en triste état. C’était si sympa !
Quelle journée ! Merci à toi, Johnny, qui chantait avec tellement de conviction : « Qu’on me donne l’envie ! L’envie d’avoir envie ! Qu’on allume ma vie ! »
Cette année encore, nous allons essayer d’en faire autant pour nos lecteurs !
Excellente année 2018 à toutes et à tous, pilotes et futurs pilotes !
Jacques Callies