Les Suisses ont le sens de l’humour, c’est connu, et peut-être que le rapport commis par les analystes de la très respectable UBS le 7 août dernier n’était qu’une blague de potache destinée à faire un maximum de buzz, parfaitement recevable par tous les hommes d’argent et de pouvoir puisque leur proposition de virer les pilotes des avions est au départ d’économiser beaucoup d’argent, donc d’en gagner autant avant impôt*.
Ou alors peut-être bien qu’un analyste influent chez UBS a été victime une fois de plus, une fois de trop, d’une grève de pilotes de ligne ? Après tout, la dernière, celle de HOP !, date du 13 juillet dernier, en pleine période de départ en vacances, et on peut imaginer la colère que cela a provoqué chez ses proches sur le pied de guerre lorsqu’il a dû annoncer : « Chérie, les enfants, défaites les valises, on ne part plus ! » J’imagine la réponse de madame, excédée : « Cette fois, c’en est trop ! Trouve un moyen de nous débarrasser de ces égoïstes ! »
À froid, je ne vois pour l’heure que ces deux arguments pour expliquer une idée aussi saugrenue, mais je sais qu’elle a été jugée digne d’être étudiée sérieusement puisque Jean-Michel Bossuet n’a eu aucun mal à recueillir des témoignages sur ce sujet épineux malgré la trêve estivale, je pense que l’idée ne déplaît pas puisqu’il m’a assuré que j’aurais certainement l’occasion de voyager un jour dans un Airbus sans pilote. J’ai jeté un coup d’œil à son papier pour savoir qui osait s’attaquer ouvertement à la toute-puissante corporation des pilotes de ligne et… je n’ai pas été étonné de n’y trouver aucun nom cité !
En 40 ans d’aviation, excellemment placé pour rencontrer autant les pilotes que les exploitants, je n’ai jamais discerné de communion entre les deux parties, comme si les pilotes n’étaient considérés par les gestionnaires que comme un mal nécessaire ; sauf exception bien sûr, et un nom me vient du reste à l’esprit, celui de Jean-Louis Hallot qui aimait ses pilotes comme des frères et avait le même sens du sacerdoce qu’un Didier Daurat.
Mais mon intention n’est pas de polémiquer, je ne retiendrais ici que le mot « nécessaire ». Il me semble juste, je le vérifie à chaque fois que je discute avec des lecteurs qui pilotent dans toutes les compagnies du globe. Ils témoignent de l’intérêt d’avoir à bord des hommes qui raisonnent, imaginatifs pour déjouer les pièges. Aucun ne me parle vraiment de routine abêtissante et même s’ils se savent effectivement devenus les conducteurs d’autobus dont voulait le même Daurat, ils restent affûtés comme des couteaux suisses.
« Faire voler un Airbus sans pilote, c’est facile, on sait faire mais cela ne se fera pas car les passagers n’admettront jamais de grimper dans un avion sans pilote » m’avait-on dit il y a des années lors d’une visite aux Essais en Vol d’Airbus à Toulouse. Du reste, où est l’exploit ? S’il m’en souvient, j’ai aperçu un chasseur bombardier revenir de vol sans pilote à Mojave, en Californie, dans les années 90, les drones n’avaient pas encore été inventés mais l’US Air Force se souciait déjà de la vie de ses pilotes de combat.
Quand j’ai reposé la même question à un pilote des mêmes EV d’Airbus l’année dernière, sa réponse m’a rassuré : « La bonne blague ! Bien sûr, on sait faire, mais il y a bien trop d’inconnues à gérer tout autour de l’avion pour qu’on prenne un jour un tel risque ! »
Je pense qu’on formera des pilotes encore très longtemps et, même caractériels, nous serons rassurés de les savoir dans leur cockpit. J’en suis d’autant plus certain que le dernier rapport sur la sécurité aérienne plaide en leur faveur.
Jacques Callies
*https://neo.ubs.com : «Meaningful savings can be generated via mission optimisation, greater predictability, and reduced flight crew and training costs. We think the aerospace suppliers, OEMs and commercial airlines would retain some of the considerable benefit: (1) more than $26bn in pilot cost savings for the airlines under UBS coverage, up to $3bn in pilot savings for the business jet industry, and $2.1bn for civil helicopters; (2) flight optimisation savings could be significant, e.g. over $1bn, at 1% of global airlines’ $133bn 2016 fuel bill; (3) more than $3bn/year in savings from lower insurance premiums (safer flights) and pilot training costs; and (4) a revenue opportunity from increased utilisation rates (cargo and commercial).»