L’insoumission est la solution ! Voilà ce que clamait une banderole déployée Place de la République à Paris début avril où des milliers de jeunes, d’une moyenne d’âge entre 20 et 30 ans selon les médias, passent encore la nuit debout à débattre, échanger des idées, repenser notre société et accessoirement faire la fête. La formule est sympathique mais à y réfléchir, l’insoumission m’apparaît immédiatement comme synonyme de désobéissance, d’insubordination ou d’indiscipline, ce qui est en contradiction avec l’ordre établi nécessaire à notre société et bien sûr à la pratique de l’aviation qui repose sur le respect absolu des textes réglementaires, des moyens et des méthodes de pilotage.
Pourtant, j’ai repensé immédiatement à ce slogan après avoir reçu un appel de Youssef Oubihi, le fondateur de la plate-forme de coavionnage Coavmi, qui m’exhortait à me montrer moins frileux sur le sujet des vols partagés, voire à en encourager la pratique. Peut-être vous souvenez-vous qu’en octobre dernier j’avais certes présenté Coavmi, mais en dénonçant les risques inhérents à un coavionnage sous la forme « BlaBlaCar ». C’était certes un bon plan pour permettre aux pilotes de voler beaucoup plus, mais à risque au niveau responsabilité civile et pénale puisque la DGAC estime que le partage des coûts d’un vol n’est autorisé que dans le cadre familial ou amical.
Youssef Oubihi est à l’âge où l’insoumission semble une solution potentielle. Ayant jugé la DGAC trop timide sur le sujet, il a questionné Patrick Ky, directeur de l’EASA, afin d’obtenir l’assurance que sa plate-forme Coavmi était bien conforme à la réglementation européenne. La réponse qui lui a été faite personnellement étant positive, Coavmi a donc continué son activité.
Pourtant il me semble bien que l’État français est toujours souverain sur son territoire, même si l’Europe lui a un peu restreint son champ d’intervention. Aussi, avant d’aller à la bagarre, mieux vaudrait y réfléchir à deux fois : j’ai dans mes archives quelques courriers de la DGAC assez clairs sur le sujet de la souveraineté nationale. C’est ce que je lui ai dit, entre autres choses. Mais, contrairement à moi, Youssef a 30 ans, il est plein d’optimisme, d’énergie, de modernisme. Il m’a donc répondu : « La formation des pilotes privés est bien meilleure aujourd’hui… Le concept d’ami n’est plus le même que de votre temps… En fait, il y a une vraie frontière générationnelle entre nous, les plus de cinquante ans refusent d’accepter le fait que le monde est en train de changer fondamentalement. Cela les rend frileux, qu’il s’agisse de l’administration, aux USA comme en France du reste, ou bien des professionnels qui préfèrent pratiquer le lobbying plutôt que de se réorganiser… »
Youssef Oubihi a raison sur ces points, et même sur celui de la formation des pilotes privés qui est certainement plus professionnelle qu’au siècle dernier. De plus, l’économie collaborative qu’il défend ardemment avec Coavmi est effectivement dans un état de santé insolent, en plus réinventée chaque jour par des moins de trente ans.
Néanmoins, plus que l’âge, mon excuse est qu’en matière d’aviation, je reste sensibilisé par les sinistres que nous avons suivis en 40 ans, les conflits entre les propriétaires d’avion et leurs assureurs, les pilotes et l’Autorité ; et les procès aux indemnités phénoménales intentés par les ayants droit d’accidents aériens qui ont eu la peau de particuliers et ont bien failli avoir celles de grands constructeurs. Peut-être ai-je peur aussi que les passagers transportés via Coavmi considèrent leurs pilotes comme des riches et qu’ils leur fassent rendre gorge en cas de problème. Car notre société s’est judiciarisée.
Mais peut-être est-il temps aussi qu’arrivent des masses d’Oubihi enthousiastes pour que les frontières bougent enfin. Il faut à notre société la fougue des jeunes, leurs idées décapantes mais je leur suggère de prendre en compte l’expérience de leurs aînés car en l’état des règles actuelles, les risques qu’ils prennent me semblent démesurés.