De Miami à San Francisco
Par Vincent Villate et Thomas Favrot, photos des auteurs.
Après un ATPL en poche passé en Angleterre, à Oxford Aviation Academy, le temps était venu pour nous de passer à la pratique et, de ce fait, monter nos heures. Le choix des USA est arrivé naturellement. Les principales motivations étaient financières (le prix de l’heure de vol aux États-Unis est bien moins cher qu’en France : la 100LL revient à 1 euro le litre !), la phraséologie anglaise et voler dans un pays étranger avec d’autres règles que celles connues auparavant en France. Nous voilà donc partis, à 22 et 20 ans, pour notre mûrissement initialement prévu en Floride.
Après un périple de Paris jusqu’en Floride par la ligne en B777, en passant par l’Angleterre et le Texas, la température et l’humidité étouffante à l’arrivée sont vite oubliées, remplacées par l’excitation de découvrir un nouveau pays quelque peu dépaysant et de commencer à voler. Nous commençons par convertir notre licence, indispensable pour pouvoir voler en solo, donc sans instructeur, et effectuons quelques heures d’instruction avec les formateurs de Miami Flight Academy. Cela nous permet de nous familiariser avec la phraséologie anglaise et avec la réglementation qui diffère de l’Europe. Par exemple, le niveau de transition 18 000 ft MSL, c’est-à-dire au QNH jusqu’à cette altitude, limite des vols VFR. Vols d’instruction finis, nous voilà lâchés dans cet énorme espace que sont les États-Unis.
En raison des assurances requises pour voler dans les autres États, nous commençons nos heures en Floride. À deux pilotes, celle-ci a rapidement été survolée. 80 heures plus tard à « tourner » dans cet État, nous recevons le feu vert du propriétaire du Cessna 152 par rapport à l’extension de l’assurance pour pouvoir voler dans tous les États.
L’idée de partir plus loin nous est venue assez vite puisque le plan initial organisé à Oxford – entre deux bouquins d’ATPL – était, dans l’idéal, de traverser l’Amérique d’est en ouest. La décision est prise : nous essayerons de traverser les USA de Miami jusqu’à Los Angeles, les étapes de San Francisco et du Lac Powell ayant été ajoutées ultérieurement.
La préparation
Tout d’abord, il faut savoir que la philosophie américaine en matière d’aviation est complètement différente de celle que nous avons en Europe. Aux États-Unis, l’avion est considéré comme une voiture. L’optimisation du temps au sol est donc la norme. L’autre point est qu’ici, la plus grande majorité des pilotes navigue au GPS. Deux iPad nous suffiront, ce qui est une bonne nouvelle lorsque l’on s’apprête à traverser 11 États (Floride, Géorgie, Alabama, Mississippi, Louisiane, Texas, Nouveau-Mexique, Arizona, Californie, Nevada, Utah) !
Tour de piste à Cal Black Memorial (U96), du côté de Monument Valley.
Survol de Monument Valley et de ses paysages uniques.
La charge utile a été l’une de nos grosses préoccupations. Avec les pleins complets, il ne nous restait plus beaucoup de marges pour l’emport des bagages. Ce sera donc le strict minimum ! Après tout, on n’est pas là pour le confort, mais pour l’aventure, partir vers l’inconnu le plus total et se sentir comme des pionniers à notre échelle. L’autonomie de l’avion étant de 3 h 30, nous nous sommes fixés 2 h 45 de vol entre chaque refuel. Nous avons choisi de louer un Cessna 152 de par son prix avantageux. Nous avons eu le choix entre la location de l’avion en « DRY » (fuel non compris) ou « WET » (fuel compris dans le prix de l’avion à l’heure de vol).
Notre autre préoccupation était la navigation en elle-même. Pour rejoindre la côte ouest, il nous faudra traverser les Rockies, chaîne de montagnes traversant les USA du nord au sud et qui, au moment dit, nous paraît infranchissable étant donné les performances de notre avion (plus ou moins 200 ft/min passé 6 000 ft plein gaz, assiette de montée) et notre manque de connaissances sur le vol en montagne. Après un bon briefing avec un instructeur qui s’est montré honnête et réaliste, nous avons pris la décision de partir sans attendre à la conquête de l’Amérique, le premier but étant d’abord d’arriver au pied de ces fameuses montagnes !
Enfin, les navigations terminées, il fallait se préoccuper du logement que l’on peut, au final, sous-estimer par rapport à la navigation en elle-même. Notre choix s’est porté sur de grands aéroports dans la mesure du possible pour pouvoir accéder aux fameux FBO (Fixed Base Operators), soit une entreprise ou la municipalité chargée d’accueillir les pilotes et de subvenir aux besoins des avions (fuel, approvisionnements divers, etc.). Au fil du voyage, nous nous sommes rendu compte que les grands FBO se souciaient plus du jet que du petit C152 qui tapait à leur porte… ce qui, au final, nous a dirigés sur de plus petits aéroports avec de grandes surprises ! En effet, nous nous sommes rendus compte que l’accueil était bien plus chaleureux et de type familial sur ces petits aéroports comme Kimble County (KJCT), au Texas, ou Lordsburg (KLSB), au Nouveau-Mexique.
Premier État traversé !
Nous y sommes. Le jour du départ, deux sacs à dos, une valise de cabine, nos casques et nous voilà partis à 4 heures du matin de Fort Lauderdale Executive (KFXE), l’aéroport d’attache de notre avion, l’un pilotant tandis que l’autre se repose. Jusqu’au nord de la Floride (crestview KCEW), le vol se déroule normalement mise à part une brume qui s’installe au début du vol pour finalement se dissiper au lever du soleil. Quelques heures plus tard, notre première émotion : un État parcouru ! Un petit pas qui marque le début de notre périple. Nous passons donc de la Floride à l’Alabama en effleurant la Géorgie. Finalement, comme prévu, nous arrivons à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane. Nous choisissons l’aéroport de lakefront (KNEW), à proximité de la classe Bravo de la Nouvelle-Orléans. Douze heures de vol achevées. Fatigués, nous prenons le premier hôtel déniché plus tôt au cours d’un refuel.
Deuxième jour, la météo étant de notre côté, les États défilent à 65 kt, les paysages aussi, mais ils ne se ressemblent pas ! Nous choisissons des routes nous permettant d’avoir la meilleure vitesse sol possible, nous actualisons la carte des vents au cours de chaque refuel. La seconde nuit, décidée la veille, se fait sur un petit aéroport dans le Texas. La raison ? Un FBO ouvert H24 au pied des Rockies. Arrivés là-bas, nous poussons ses portes : un fauteuil, une table de chevet, un pistolet… Pas de doute, on ne s’est pas trompé, nous sommes bien au Texas ! Puis l’accueil chaleureux d’un vieil homme qui nous explique qu’il vit ici, sur l’aéroport. Il nous propose même de nous emmener à l’hôtel et de la corde pour amarrer l’avion. Arrivés à l’hôtel, un peu de repos avant de se rendre compte que notre premier objectif est atteint et que tous les éléments sont favorables à la continuation de notre voyage !
Le lendemain, météo vérifiée, NOTAM OK, avion prêt, pilotes ultra-motivés, nous partons pour le début de la traversée des Rockies, tout en prévoyant un demi-tour au moindre doute. Le déroulement du vol se passe bien, découverte des puits de pétrole, le sol s’élève peu à peu, la population se raréfie, nous sommes sur la bonne voie. Après un refuel sur l’aéroport de Culberson (KVHN) digne d’un film de cow-boys ou de début d’un film d’horreur, nous arrivons à Fabens (E35), à la – très surveillée – frontière mexicaine où nous passons la nuit.
La météo est toujours bonne donc nous décidons de partir avec les conseils des locaux, ajustons la nav pour suivre la route 10 au travers des Rockies dans lesquelles nous prenons des précautions à l’approche des crêtes en raison de forts rabattants du fait d’un vent quasi constant dans cette chaîne de montagnes du 270°. Le sol peut culminer à environ 4 000 ft et les sommets aller à plus de 8 000 ft le long de notre route (le point culminant des Rockies étant à 14 500 ft). Nous passons à la limite de la frontière mexicaine, impressionnante à voir avec ces miradors et ces murs. Gros avantage, nous avons le « flight following », un service qui permet aux vols VFR d’être suivis par les contrôleurs tout le long du vol, nous assurant une information trafic, mais aussi météo/NOTAM avec parfois des suggestions ou clairances de cap/altitude, une aide précieuse dans ces moments.
Comme prévu lors de la préparation, nous rencontrons des vents d’une moyenne de 30 kt. Ils ramènent notre vitesse sol à… 30 kt ! La sécurité du vol n’étant pas mise en cause, nous continuons, lentement, très lentement, mais la motivation est toujours aussi présente ! Vers midi, après pas mal d’arrêts refuel et avoir parcouru 30 Nm en 1 heure, nous faisons le point. Les vents se renforçant, nous décidons d’arrêter là pour aujourd’hui, soit à Lordsburg (KLSB), au Nouveau-Mexique, où l’atterrissage est plus que turbulent en raison des vents de début d’après-midi (30-35 kt).
Cimetières d’avions sous nos ailes
Cinquième jour : un départ tôt s’impose comme les jours précédents, nous avançons, le décalage horaire nous permet de gagner encore une heure, non négligeable, sur l’avancée de l’aventure. Verticale Tucson (KTUS), des cimetières d’avions que nous connaissions jusqu’ici que par l’intermédiaire d’Internet. Impressionnant. Nous mettons le cap sur Phoenix, en Arizona, avec des vents qui nous sont, pour une fois, favorables. Notre choix s’est porté sur l’aéroport de Goodyear (KGYR) où nous avons pu voir des avions d’XL airways, Air France en pièces…
Un des nombreux cimetières d’avions. Ici celui de Victorville, CA.
Les Rockies derrière nous, nous partons en avance, la météo toujours excellente pour l’instant. On se réjouit à l’idée de traverser dans peu de temps la Californie ! Nous nous posons finalement à 110 Nm à l’est de LAX. Le but était un aéroport plus proche de la côte, mais la météo du milieu d’après-midi n’était vraiment pas bonne : plafond bas et turbulences sévères reportées au niveau de Palm Springs ont eu raison de nous. Un mal pour un bien puisque nous décidons donc d’arrêter le vol ici, à Thermal (KTRM), où le FBO a pu nous arranger pour rejoindre Los Angeles… en voiture de location ! Notre but est atteint : les États-Unis d’est en ouest.
Après un jour de tourisme au sol à sillonner LA en passant par le Griffith Observatory avec sa vue exceptionnelle de la ville, mais aussi Hollywood boulevard, la plage de Santa Monica, Venice, la soif de voler nous emporte ensuite vers le lieu qui nous aura le plus marqués par ses paysages : le lac Powell et son aéroport Page (KPGA), au nord-est de Las Vegas. Du reste, le site devient notre terrain de jeu pendant trois jours. Nous avons dû attendre le second pour pouvoir atteindre Monument Valley, à 60 Nm à l’est de Page, pour cause météo (turbulences basse altitude et plafond bas). Nous avons pu tout de même contempler ces paysages mythiques et millénaires, même si les turbulences étaient de la partie, ce qui nous a permis de nous rendre compte avec quelques frayeurs des dangers des reliefs avec un fort vent (un vario de -200 ft/min plein gaz en vitesse de montée…).
Le soir venu, il était temps de réfléchir à la suite du voyage. La question ne s’est pas posée très longtemps à la vue de la carte : nous ne pouvions pas partir sans voir San Francisco et Las Vegas qui se trouvaient en chemin. Nous partons finalement de Page pour refueller à Mesquite (67L) où l’atterrissage s’est avéré très sportif (vent de travers et turbulences sur l’aéroport situé sur une colline). Le plan initial est d’atterrir sur l’aéroport international de Las Vegas, mais, en vol, le contrôleur nous informe que pour cause de trafic trop important, nous devons choisir un autre terrain pour nous poser. Ce sera donc North Las Vegas (KVGT), situé à 20 minutes en voiture du centre-ville avec tous ses casinos.
Vue de la plage de Santa Monica prise de la fameuse jetée où se trouve la fête foraine.
Après une visite obligatoire du « Strip », nous allons dormir au Luxor Hotel, celui en forme de pyramide, dans une chambre avec vue sur ce fameux aéroport sur lequel nous n’avons pas pu nous poser. Cette ville nous a laissé un souvenir mitigé dans le sens où le côté naturel et splendide des alentours contraste réellement avec ce lieu énergivore et purement artificiel en plein milieu du désert, alimenté par l’eau du lac Mead et, en amont, par celle du lac Powell qui s’assèchent au fil des années.
New York en plein coeur de Las Végas… Le strip est barré à cause d’un marathon qui s’y tient ce jour-là.
Le « bay tour » de San Francisco
Départ aux aurores le lendemain pour San Francisco compte tenu de la météo favorable le long de notre route. Survol des montagnes californiennes, de la route 66 ainsi que de la faille de San Andreas puis arrivée sur la fameuse baie de San Francisco. Nous montons jusqu’à 10 500 ft, parfois pour éviter le relief et les MOA, l’équivalent des AZBA en France. Nous atterrissons sur San Carlos airport (KSQL), à 9 Nm sud de l’international. Nous louons une voiture pour rouler dans les rues mythiques et à fort dénivelé de la ville et traverser le Golden Gate bridge.
Une photo comme récompense d’un vol marquant l’atteinte de notre objectif. Ici le Golden Gate.
Nous apprenons qu’un « bay tour » est possible sur demande aux contrôleurs, c’est-à-dire la possibilité d’obtenir un code transpondeur spécial qui permet d’être vectoré autour de la baie de San Francisco en passant par tous ses sites marquants. Nous hésitons longuement de par le stress d’un vol en pleine classe bravo autour de l’aéroport international, mais la chance de pouvoir survoler le Golden Gate et les alentours ne se présente sûrement qu’une fois pour les pilotes en formation que nous sommes. Nous fonçons donc après avoir pris quelques conseils auprès des personnes de l’aéroport et prenons la décision de demander simplement un survol du Golden Gate Bridge. Checklist, mise en route effectuée, nous roulons pour la piste en service, le bay tour nous ayant été accordé. Take-off, nous sommes autorisés classe bravo de San Francisco en VFR. Quelques clairances de heading plus tard, nous passons travers KSFO avec les A380 et autres 747… Puis vient le fameux Golden Gate Bridge. Nous sommes tenus de le maintenir à notre droite. Quelques photos plus tard, on nous prévient que l’espace aérien n’accepte plus de trafic VFR dans la Bravo pour cause d’espace aérien surchargé au niveau de l’International, nous repartons donc sur notre aéroport de départ où nous croisons un 747 en montée, en veillant à ne pas pénétrer la Bravo. Ce fut l’un des vols les plus intenses tant au niveau communication qu’au niveau paysage !
Souvenir d’une nuit mémorable dans le C152.
Nuit improvisée dans le Cessna
Nous avions prévu deux jours pour visiter. Malheureusement, les TAF prévoient le fameux brouillard et un plafond bas digne d’une météo hivernale parisienne. Nous partons en milieu d’après-midi, après notre bay tour en regrettant de ne pas pouvoir profiter un peu plus de cette ville. Nous mettons cap au sud-est, mais la nuit approchant et connaissant les reliefs californiens, nous décidons de nous poser sur Bakersfield (L45), à 210 Nm sud-est de San Francisco, et passons la nuit… dans le Cessna ! L’inconfort et les températures relativement basses nous ont permis un départ tôt et plus qu’attendu ! Nous avons pris cela sur le ton de la rigolade, mais nous nous sommes vite rendu compte que la théorie était cette fois-ci loin de la réalité ! Malgré tout, nous en gardons un bon souvenir, c’était quelque chose à faire au moins une fois ! La date du retour en France s’approchant, nous prenons la décision de commencer le voyage retour, cap à l’est pour presque 2 200 Nm ! Connaissant maintenant les reliefs et autres spécificités du terrain, nous reprenons quasiment les mêmes tracés pour le retour jusqu’en Floride. Les vents d’ouest nous permettent d’aller beaucoup plus loin et plus vite qu’à l’aller : 150 kt GS ! Nous cherchons les altitudes optimales en fonction du vent tout en respectant la règle semi-circulaire (9 500 ft) et qui a permis, au final, moins d’arrêts pour refueler. Sur le chemin du retour en Arizona, premier, problème mécanique du voyage, nous perdons la pompe à vide en plein vol, qui fait fonctionner habituellement l’horizon et le conservateur de cap. Déroutement sur l’aéroport le plus proche, nous choisissons Marana regional (KAVQ) où nous prenons la décision de continuer seulement de jour. Nous nous posons tout de même sur certains aéroports visités à l’aller où les gens, nous reconnaissant, nous demandent si tout s’est bien passé. Nous avons beaucoup apprécié cette convivialité.
Arrivés au Texas, même arrêt qu’à l’aller, mais la météo n’est pas aussi clémente que la première fois et nous impose 4 jours de stop avant de pouvoir poursuivre notre route. Puis à nouveau, arrêt de deux jours en Alabama, sur l’aéroport de Bay Minette (1R8), à cause d’un gros système dépressionnaire, nommé CATO, qui a perturbé les États-Unis avec de gros orages accompagnés de tornades dans le sud et de grosses tempêtes de neige au nord.
Problème d’allumage
Arrivés en Floride, la fin est proche, mais au dernier stop refuel, avant Fort lauderdale, impossible de redémarrer le moteur, des flammes sortent de l’échappement et il y a un bruit suspect. Nous décidons de dormir sur l’aéroport désert en attendant le lendemain l’arrivée des mécaniciens du coin. Le problème vient de l’allumage, la réparation se fait avec l’accord du propriétaire qui prend les frais à sa charge. Nous partons dans l’heure qui suit pour la fin de notre aventure.
C’est à l’atterrissage que nous réalisons le chemin parcouru et l’expérience acquise au fur et à mesure de notre aventure. Ce parcours aurait été beaucoup plus difficile à réaliser seul. Le fait d’être deux pilotes nous a beaucoup aidés dans les prises de décision. C’est aussi bien plus enrichissant de faire un flight trip entre pilotes passionnés. Cette aventure nous a permis d’une part d’accéder à la suite de notre formation de pilote professionnel, mais a aussi été un moyen d’affirmer notre vocation pour le métier de pilote. Maintenant, place au CPL-IR que nous envisageons de passer aux États-Unis, accompagné d’une conversion européenne afin d’avoir la double licence pour multiplier les chances de trouver un premier emploi !