Comment discuter sereinement des modalités de conversion des licences, de la surveillance technique de nos avions, de l’accès à l’espace aérien alors que le monde va tellement mal ? Il nous était impossible de ne pas nous poser la question ce mois-ci, même si celle-ci est sous-jacente depuis toujours, tout au moins depuis le 11 septembre 2001.
Ce jour-là, dont je me souviens de chaque instant, j’ai su que rien ne serait plus comme avant. Tout comme vous probablement. Pourtant, la vie a repris son cours, nous avons continué à écrire des histoires d’avions et de pilotes, à nous battre pour préserver notre droit de voler, sans aucun complexe, voire même avec une détermination renforcée. Et lorsqu’il nous est arrivé d’avoir des doutes sur le bien-fondé de nos luttes en regard de problèmes vraiment existentiels, il y a toujours eu quelque ami pour nous rappeler que nous ne pouvions pas porter tout le poids du monde sur nos épaules. Alors nous avons continué à penser encore et toujours « aviation », ce pourquoi nous avions peut-être été programmés à la naissance.
Hélas, l’assassinat des journalistes et caricaturistes de notre irrespectueux confrère Charlie Hebdo nous a rappelé brutalement à la réalité. Malgré notre envie de vous raconter des choses agréables, comme par exemple les bons vœux formulés mi-janvier par Patrick Gandil, le pilote privé qui est aussi directeur général de la DGAC, et de son soutien indéfectible à notre aviation générale, nous avons décidé de parler de liberté.
Depuis le 7 janvier, tout le monde s’accorde à dire que la liberté est un droit fondamental, chacun rappelle l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »
Est-ce vrai ? Nous serions enclins à le croire, nous qui parlons, écrivons, et imprimons nos idées depuis tellement longtemps. En essayant de ne pas abuser, du moins plus que de raison, de notre liberté d’expression, ce qui est facile quand on ne parle que d’aviation, en tout cas d’aucun sujet épineux, croyez-vous probablement.
Eh bien, détrompez-vous, cela ne l’est pas tant que cela. Sachez qu’une fois, nous avons été interdits de distribution en kiosque à l’étranger : triste clin d’œil de l’histoire, ce fut justement à cause de caricatures qui nous avaient semblé pourtant parfaitement réussies ; et aussi que nous avons été attaqués en diffamation pour avoir défendu bec et ongles des lecteurs, de rares fois, certes, et sans succès puisque les parties adverses ont été déboutées à chaque fois.
Rien de comparable à ce que nos confrères ont connu, cela va sans dire, mais ceci montre bien que la liberté d’expression a toujours un prix. Et même s’il paraît dérisoire au vu de l’actualité, nous avons bien été obligés de tirer la leçon de ces procédures coûteuses, à la fois en temps et argent : la nécessaire évaluation des risques…
Il fallait absolument que la bannière de « Charlie Hebdo » soit imprimée sur la couverture de ce mois-ci, comme nous l’avions fait en octobre 2001 avec celle des États-Unis. Qu’on aime ou non le journal satirique le plus connu au monde désormais, celui-ci est le symbole de cette liberté que nous revendiquons pour nos lecteurs depuis la création du journal en 1973, de cette liberté de ton qui ne nous a jamais empêchés de travailler en bonne intelligence aussi bien avec l’Administration de tutelle qu’avec les syndicats professionnels et les associations de pilotes.
Une liberté de ton si française, finalement.