A chaque accident aérien, je me blinde psychologiquement pour affronter le plus sereinement possible le déluge de sottises qui s’annonce aussi sûrement que la pluie sous une ligne de grains. En effet, les médias ne tardent pas à nous inonder de reportages et interviews dont le but est bien plus d’émouvoir que d’informer. Politiques, public, victimes, proches et témoins, en général ignorant de la chose aéronautique, défilent en boucle devant les micros en un consternant ballet dramatique. La connaissance, paraît-il, c’est comme la confiture, moins on en a plus on l’étale. Ainsi, qui n’a pas vu le frère d’une victime sous l’effet d’une compréhensible douleur s’offusquer de ce qu’une compagnie aussi sérieuse que la Lufthansa – germanwings en est sa filiale à bas coût – puisse laisser un pilote seul aux commandes alors qu’il s’agit là d’une pratique courante depuis 30 ans, depuis que des avions de ligne se pilotent à deux.
On baigne dans une hystérie collective engendrée et amplifiée par l’émotion sincère et légitime que peuvent provoquer les crashes et leur côté spectaculaire. Ironiquement, l’aviation est victime de son extraordinaire niveau de sécurité car les accidents étant très rares, les médias s’en emparent goulûment et entretiennent le plus longtemps possible l’émoi d’un public friand de révélations. S’engage donc une course au sensationnel et au scoop douteux, nos principes de présomption d’innocence et du secret de l’instruction, fierté de notre démocratie, volant en éclat tel un A320 précipité sur les Alpes.
L’opinion est fascinée par notre monde toujours perçu comme élitiste. Il y a donc, une forte attente de perfection et une intolérance face à l’accident. Parfois, cela donne des situations flatteuses comme cette chercheuse du CNRS qui m’avoua, émue, que c’était la première fois qu’elle parlait à un pilote de ligne… Le fantasme du pilote, héros sans peur et sans reproche, est à double tranchant car, du coup, il est inconcevable qu’il puisse être défaillant.
Il revient donc à nous, pilotes privés et pros, de faire connaître notre monde en expliquant qu’il n’est pas parfait. La tâche n’est pas aisée car comment parler de statistiques quand toute une société pleure 149 morts innocents ? Il faut déployer des trésors de pédagogie pour rationaliser la perception de l’aviation : certes, toutes ces victimes en une fois, c’est insupportable mais cela l’est-il plus que le 1,3 million de morts annuel, soit 149 par heure, sur les routes du monde, d’autant que parmi eux, il y a aussi nombre d’innocents fauchés par des chauffards ? Est-il plus acceptable que, rien qu’en France, 12 000 personnes par an décèdent dans des accidents domestiques tous aussi stupides les uns que les autres ?
Alors oui, 500 victimes d’accidents aériens par an, c’est toujours trop mais sur 4 milliards de passagers transportés, c’est 8 fois mieux qu’il y a 30 ans (1 000 morts pour 1 milliard de passagers) et surtout bien mieux que certains autres modes de transport pourtant acceptés sans peur.
Aucune autre activitée n’est autant réglementée et surveillé. Ainsi, les 150 000 pilotes de ligne qui exercent sur la planète remettent 4 fois par an leur carrière en jeu lors de 2 tests simu, un test en ligne et une visite médicale. Mais n’oublions pas que tant les testeurs que les testés sont avant tout des humains faillibles, mêmes s’ils ont certaines qualités perçues comme supérieures.
Alors, plutôt que se lancer dans une classique chasse aux responsables, ne ferait-on pas mieux d’enfin s’intéresser de près à ces humains – équipages, mécaniciens, contrôleurs, etc. – et à leurs conditions de vie, ce que ne font nullement les organismes de supervision de l’aviation, telle l’UE et sa liste noire, ou l’IATA et ses audits qui s’attachent essentiellement à l’état des avions et non à ceux qui les font voler ? Il y aurait sans doute des surprises à découvrir ce qui se cache derrière les sourires et un service cinq étoiles…
Régis Hua-Van