Récemment, Martin Robinson, de l’AOPA* britannique, m’a demandé de jeter un coup d’œil à un mail « serious and urgent », une convocation de la Brigade de Gendarmerie des Transports Aériens (BGTA) reçue par l’un de ses adhérents que se disait inquiet, effrayé même. Perturbé en vol par une histoire de bouchon d’essence perdu et de réservoir qui se vidait, ce dernier avait semé la pagaille en pénétrant le secteur de contrôle de Chavenay : « I could not call Chavenay because I didn’t plan to go there so I didn’t have their frequency on my kneepad and with all the aircraft around I didn’t want to start searching through my plates, thinking that to « aviate first » and keep a good lookout was the safest option. I am certain that at no time was any aircraft in danger. » Ledit mail comportait en pièce jointe un procès-verbal de convocation en vue d’une audition libre car le pilote en question était soupçonné « d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction de mise en danger de la vie d’autrui prévue et réprimée par l’Article 223-1 du code pénal».
En tapant 223-1 sur Google, notre Anglais avait trouvé : « Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » De quoi effrayer effectivement tout pilote, même flegmatique.
Depuis 2000, la judiciarisation de notre société concerne aussi les pilotes qui, jusqu’alors, avaient l’habitude d’être jugés par leurs pairs, et non par des magistrats qui ne connaissent pas grand-chose à l’aérien, parfois. La clause 223-1 est vague et donc périlleuse puisqu’elle permet à n’importe qui de poursuivre n’importe qui pour n’importe quelle raison. Bien sûr, il n’y a point crime ou délit sans intention de le commettre, si l’on n’a pas violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi, ou s’il s’agit d’un cas de force majeure. Mais encore faut-il le prouver.
J’ai appelé l’Officier de Police Judiciaire chargé de l’affaire qui m’en a expliqué les grandes lignes et m’a conseillé d’inciter mon Anglais à répondre à sa convocation, d’autant qu’il en avait accepté le principe et qu’un interprète serait là. Ce qu’il a donc fait. Néanmoins, s’il a redécollé libre au soir, son audition l’a terrifié au plus haut point.
La règle du « pas vu, pas pris » appartient à jamais au passé comme en témoignent les 73 infractions signifiées à des pilotes en 2014, dont 11 atterrissages anormaux (sans autorisation, sur piste occupée, de nuit sur AD non balisés, sans qualification VDN…), 8 vols basse hauteur, 13 mauvaises gestions du vol (carburant, non-respect des procédures d’intégration…), 5 infractions pour imprudence (transport de marchandises dangereuses, descente sous le niveau minimal utilisable en IFR, pilotage dangereux…), 2 infractions pour indiscipline (présentation à contre QFU et décollage sans autorisation), 2 infractions pour défaut de licence et 32 infractions pour vol en zone réglementée sans autorisation…
Sur les 73 prévenus, 20 ont été relaxés. Seulement. Ceci doit nous inciter à bien connaître la réglementation, à préparer nos vols avec soin et à voler sous contrôle du Service d’Information de Vol (SIV), au moins en région parisienne où les risques d’abordage sont élevés et l’espace aérien complexe. C’est gratuit et, en plus, vous êtes averti de vos erreurs de trajectoire ou d’altitude et conseillé en cas de doute.
Ne comptez en aucun cas sur la bienveillance de vos pairs sous prétexte qu’ils connaissent les difficultés de l’aérien ; pensez « Procureur de la République », craignez « l’infraction de mise en danger de la vie d’autrui », ce concept vague qui vous fera découvrir ce qu’est l’enfer judiciaire. De quoi vous couper les ailes à jamais si vous n’avez pas des nerfs d’acier !
* Association de défense des intérêts des pilotes et propriétaires d’avion auprès de l’OACI, de l’EASA et des aviations civiles nationales.